Le Port de la Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle, 1896, hst, Pierre-Auguste Renoir, collection particulière

La Rochelle a fait l’objet de la part de Renoir d’une véritable fascination, en particulier quand il se comparait à Corot. Nous avons évoqué une vue de la Rochelle par Corot en juillet dernier (ICI) que nous vous conseillons de lire ou relire avant de poursuivre.

Outre les déclarations de Renoir à Vollard, que nous avons lues à propos de Corot, une anecdote est révélatrice de cet amour de Renoir à « Papa Corot ».

Donc en 1896, Renoir séjourne à La Rochelle et se heurte aux difficultés de reproduire la lumière. Deux ans plus tard, il séjourne avec ses enfants et Julie Manet à Berneval, et peint un Déjeuner à Berneval, qui reprend une composition de Degas, La Leçon de danse, un tableau que Renoir avait choisi suite au legs Caillebotte et au testament de Gustave Caillebotte.

En décembre 1898, Renoir vend cette Leçon de danse à Durand-Ruel, ce que le testament lui permettait de faire. Mais le motif de cette vente était de lui permettre d’acheter une vue de La Rochelle : le coin de la cour de la commanderie par Corot. Il se déssaisissait ainsi donc d’un Degas pour acheter un petit Corot.

Degas, plus que furieux, se fâcha alors avec Renoir.

28/02/2016

Le Port de La Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle,1896, hst, 20,7 x 32,3 cm, Pierre-Auguste Renoir, collection particulière

Rochers à Port-Goulphar, Belle-Île, Claude Monet

Rochers à Port Goulphar, Belle-Île, Claude Monet

Rochers à Port-Goulphar, Belle-Île, 1886, hst, 66 x 81,8 cm, Claude Monet, Art Institute de Chicago, Wildenstein 1095

En 1886, Gustave Geffroy (1855-1926) rencontre Claude Monet à Belle-Île. De leur rencontre naît une amitié qui ne sera interrompue que par la mort. Geffroy a été l’un des fondateurs de l’académie Goncourt. Il nous a laissé quelques pages magnifiques sur son ami Monet.

« Claude Monet travaille devant ces cathédrales de Port-Domois, dans le vent et dans la pluie. Il lui faut être vêtu comme les hommes de la côte, botté, couvert de tricots, enveloppé d’un “ciré”’ à capuchon. Les rafales lui arrachent parfois sa palette et ses brosses des mains. Son chevalet est amarré avec des cordes et des pierres. N’importe, le peintre tient bon et va à l’étude comme à une bataille. Volonté et courage de l’homme, sincérité et passion de l’artiste, ce sont les caractéristiques de cette famille rustique et fine de paysagistes dont les œuvres sont l’honneur et l’originalité de l’art de ce siècle. Monet sera au premier rang dans ce groupe. Depuis 1865, toutes les colères l’ont assailli, on n’a pas ménagé les quolibets à ses toiles, il a eu à lutter contre la malveillance et l’inertie. Il est facile de prédire que les habitudes d’esprit et les appréciations changeront et qu’il en sera de Monet comme il en a été de tant d’autres méconnus et raillés. Ici, devant ces toiles d’un ample dessin, devant ces œuvres lumineuses, imprégnées par l’atmosphère, pénétrées par le soleil, où les couleurs se décomposent et s’unissent par on ne sait quelle magie d’alchimiste, devant ces falaises qui donnent la sensation du poids de la terre, devant cette mer où tout est en mouvement continu, la forme de la vague, la transparence sous-marine, les écumes nuancées, les reflets du ciel, on a l’impression qu’il est apparu dans l’art quelque chose de nouveau et de grand.

Mais ce n’est pas dans cette note griffonnée au soir d’une journée que peut être décrite et commentée cette histoire de la côte et de la mer à toutes les heures, sous tous les temps, tracée par un pinceau prestigieux. Les toiles peintes à Belle-Île seront vues à Paris. Qu’il suffise d’avoir dit l’amour profond et ému de la nature, qui fait à Claude Monet vouloir reproduire sur ces toiles les lignes qui ne changent pas et les effets fugitifs, les espaces sans bornes de l’eau et du ciel et le velours d’une motte de terre couverte de mousses humides et de fleurs desséchées. »

Avec une petite pensée pour les îliens de Belle-Ile, Houat, Hoëdic, etc. !

26/02/2016

photo wikimedia commons File:Paysage_%C3%A0_Port-Goulphar.jpg Ust Tiago Vasconcelos

La Blanchisseuse, Henri de Toulouse-Lautrec

Lautrec, La Blanchisseuse

La Blanchisseuse (Carmen Gaudin), 1889, hst, 93 x 75 cm , collection particulière, catalogue S327.

Carmen Gaudin était une ouvrière de Montmartre. Ses cheveux roux ont tout de suite attiré Lautrec, qui a été toute sa vie un grand admirateur des femmes rousses. François Gauzi, qui a publié ses souvenirs sur Lautrec, a raconté la première fois que Lautrec et Rachou croisèrent la jeune femme :

«… une jeune fille, vêtue simplement comme une ouvrière, mais dont la chevelure cuivrée fit s’arrêter Lautrec qui s’écria, enthousiasmé :
– Elle est bath ! Ce qu’elle a l’air carne ! Si on pouvait l’avoir comme modèle, ce serait merveilleux. »

En 1884, à la demande de Lautrec, Henri Rachou l’aborda et réussit à l’amener à l’atelier de la rue Ganneron, qu’il partageait avec Lautrec. Rachou sera nommé beaucoup plus tard conservateur du musée de Toulouse.

Lautrec va réaliser au moins cinq portraits à l’huile de la jeune femme et de très nombreux dessins.

Notre portrait du jour est peut-être le plus beau de tous. En cette année 1889, Lautrec est définitivement sorti de ses années d’apprentissage. La composition, la posture, le traitement de la lumière, l’aura du modèle ont ensemble concouru au succès de cette toile. Elle est devenue le 1er novembre 2005, chez Christie’s à New York, la plus chère adjugée à ce jour pour l’artiste avec un montant de 22,416 millions de dollars.

Jamais Lautrec n’a osé lui demander de poser nue. Il avait parfois des délicatesses et des timidités qui ne lassent pas d’étonner.

La jeune femme avait pris goût au métier de modèle et va poser pour d’autres peintres, comme Alfred Stevens et… Berthe Morisot.

Dès 1885, c’est elle qui pose dans le fameux Nu, vu de dos. En tant que modèle, elle se faisait parfois appeler Carmine Gaudin. Berthe Morisot, alors encore inexpérimentée dans la peinture de nu, avait demandé des conseils à Renoir.

Morisot, Nu, vu de dos

Nu, vu de dos, 1885, hst, 55,3 x 46,2 cm, Berthe Morisot, collection particulière

Des aventures à retrouver dans la toute nouvelle monographie de Lautrec et dans celle de Morisot… chez VisiMuZ, évidemment.

24/02/2016

Photos
1 wikimedia commons File:Henri_de_Toulouse-Lautrec_018.jpg Usr Sandik~commonswiki
2 Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault, Camille Pissarro

Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault,  Camille Pissarro
Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault, 1874, hst, 48 x 51 cm, Camille Pissarro, High Museum of Art, Atlanta.

Montfoucault était le nom d’une ferme de la Mayenne, propriété de la famille Piette.

Pour Pissarro, c’était un lieu de retraite et de réflexion. Il s’y était déjà réfugié en 1870 au début de la guerre. En 1874, il vient de subir les critiques lors de la première exposition des impressionnistes, et il est venu à Montfoucault étudier la vie des paysans.

La neige qui tire sur le bleu est un signe de son lien avec Monet (voir par exemple la Pie à Orsay, que nous avons présentée il y a quelque temps). Le tableau est cependant presque monochrome, avec ces deux vaches qui se fondent dans le décor, tout en regardant le spectateur. Le ciel et les murs sont de la même couleur, le tableau devient cette « surface plane recouverte de couleurs » dont parlera seize ans plus tard Maurice Denis. Les gris bleus et verts évoquent aussi certaines œuvres de Maria Elena Vieira da Silva.

17/02/2016

Photo wikimedia commons
Snowscape_with_Cows,_Montfoucault”,_oil_on_canvas_painting_by_Camille_Pissarro Usr Wmpearl

Les Poseuses, Georges Seurat

Les Poseuses, Georges Seurat

Les Poseuses, 1887-88, hst, 200 x 250 cm, Georges Seurat, The Barnes Foundation, Philadelphie.

Ce grand tableau (200 x 250 cm) est le troisième tableau de Georges Seurat qui a été présenté au public, après Baigneurs à Asnières (National Gallery, Londres) et Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande-Jatte (Art Institute Chicago). On sait que durant sa courte vie,(il est mort à 32 ans en 1891), Seurat n’exécuta que six grands tableaux. Cette toile est depuis devenue une référence dans l’histoire de l’art moderne. Le peintre s’était donné pour but de démontrer que sa théorie, basée sur le divisionnisme, était aussi adaptée à la figure humaine (et pas seulement à l’eau ou l’air), ainsi qu’à une peinture en atelier plus « officielle » alors exposée au Salon (d’où ce format monumental).

S’agit-il d’un seul modèle se déshabillant, posant, puis se rhabillant ou de trois modèles ? L’artiste s’est évidemment inspiré du motif classique des trois Grâces dans l’Antiquité, mais il a renversé le thème classique dont la figure centrale est de dos. On remarquera le tableau dans le tableau, ou la mise en abyme avec le mur de gauche sur lequel se trouve Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande-Jatte et au premier plan les accessoires (l’ombrelle, le chapeau à plume rouge…) servant aux modèles pour la réalisation de ce tableau. La technique utilisée par Seurat était très chronophage et il mit plus d’un an à peindre cette toile, qui devenait par-là impossible à vendre. L’artiste la possédait encore à sa mort. Après différentes vicissitudes (dont la perte du cadre originel peint par Seurat), elle fut acquise par le docteur Barnes en 1926 et se trouve donc maintenant à la nouvelle fondation Barnes sur le Parkway de Philadelphie.

15/02/2016

Photo wikimedia commons : File:Georges_Seurat_024.jpg Usr : Upload Bot (Eloquence)

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), Paul Cézanne

Cézanne Mardi Gras

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), 1888, hsr, 102 x 81 cm, Paul Cézanne, musée Pouchkine, Moscou.

En 1888, Paul Cézanne a complètement construit son système, géométrique, statique, épuré de tout superflu. On doit y voir le volume, la structure, le poids, la couleur.. et rien d’autre. Son « Mardi Gras » en est la quintessence. Il l’a peint à Paris (et non à Aix, il était à Paris juste pour plaire à Hortense, Mme Cézanne, qui ne voulait pas aller en Provence).

Tous les fils spirituels de Paul s’en inspireront : de Picasso à Juan Gris, de Derain à Rouault. Cézanne a peint trois autres Arlequin dans ces années là, mais ce duo est unique. Les collectionneurs qui l’apprécient le savent : cette toile est un chef d’œuvre. Alors elle est achetée par le plus fan de ses admirateurs : Victor Choquet, celui qui parlait de Cézanne à tout le monde : son célèbre « Et Cézanne ? » intervenait dans toute discussion sur la peinture. À la mort de M. Choquet, après un passage chez Durand-Ruel, elle rejoint en 1904 la collection d’un des plus grands amateurs de peinture française : Sergueï Chtchoukine, pour sa maison-musée de Moscou.

Serge Ivanovitch Chtchoukine (1854-1936) était un industriel moscovite du textile, qui a débuté sa collection en 1894. Entre 1905 et 1911, Chtchoukine perd son frère, deux de ses quatre enfants, et sa femme. Fou de douleur, il se consacre totalement à sa collection. En 1914, sa collection comprend 258 tableaux (dont 50 Picasso, 4 Van Gogh, 13 Monet, 3 Renoir, 8 Cézanne, 16 Gauguin, 38 Matisse, 9 Marquet, 16 Derain). Il recevait le dimanche chez lui, et montrait sa collection à des amateurs d’art, des critiques et des artistes. En août 1918, il fuit la Russie, sa fortune convertie en diamants cachés dans la poupée de sa fillette Irina, et après un passage en Allemagne, se réfugie en France. En octobre 1918, Lénine déclare le palais et la collection de Chtchoukine propriétés du peuple. À ce jour, 84 tableaux de la collection Chtchoukine sont au musée Pouchkine de Moscou, où ils font le délice des visiteurs. 149 de ses tableaux sont aussi à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

À retrouver bien sûr ici : Tout Cézanne

12/02/2016

Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_-_Mardi_gras_(Pierot_et_Harlequin).jpg Usr Botaurus

Chemin de l’église Saint-Pierre, Tonnerre, Émile Bernard

Chemin de l'église Saint-Pierre, Émile Bernard

Chemin de l’église Saint-Pierre, Tonnerre, hst, 76 x 61 cm, Émile Bernard, collection particulière

Quand on pense à Émile Bernard, on pense bien sûr à Pont-Aven, à Gauguin, à Van Gogh ou bien encore à Cézanne, qu’il admirait tant qu’il a été rendre visite au maitre d’Aix, ou encore à Lautrec avec il était à l’académie Cormon, ou enfin à l’Égypte où il a passé plus de dix ans, entre 1893 et 1904. Mais sa vie bourguignonne est beaucoup moins connue.

Quand Émile a quitté l’Égypte en 1904, il a laissé sa femme égyptienne seule et sans ressources. Il a emmené ses enfants en France. Il les confie à sa nouvelle compagne : Andrée Fort, sœur de Paul, le poète. Elle est installée à Tonnerre. Émile Bernard continue sa vie mondaine, il passe à Tonnerre en revenant de Munich ou de Paris. Il emmène Andrée à Naples, où elle va accoucher d’un nouveau petit Bernard. Et Émile repart à Aix voir Cézanne. Est-ce le prénom qui le rapproche à ce point de Jean-Jacques Rousseau, l’homme qui a écrit un traité sur l’éducation tout en abandonnant ses enfants ?

En 1913, bien après ses années égyptiennes, il vit une passion avec Armène Ohanian, jeune femme d’origine perse, mais cette fois il reste à Montmartre. Cette liaison durera trois ans. Abandonné par sa maîtresse, il retournera à Tonnerre où il écrit et réfléchit aux gravures qu’il doit réaliser pour Ambroise Vollard.

Il a eu trois enfants avec Andrée. Les années passent. La vraie Mme Bernard meurt au Caire en 1937. L’année suivante, Émile épouse Andrée Fort. Il a 70 ans, elle en a 61. Émile n’a jamais vécu à Tonnerre, se contentant d’y passer quelques jours chaque année.

Quelle erreur, M. Bernard !

Votre beau-frère Paul aurait pu vous le susurrer. « Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. »

Le chemin de l’église Saint-Pierre est magnifique. Mais vous auriez pu aussi peindre les berges de l’Armançon ou du canal de Bourgogne, les nuances vertes du bassin quand l’eau sort de la fosse Dionne, aller à Tanlay, Ancy-le-Franc, Semur-en-Auxois ou Vézelay. Sans compter qu’au début de l’installation d’Andrée Fort à Tonnerre, Misia et Thadée Natanson n’étaient pas très loin, à Villeneuve-sur-Yonne, où ils recevaient les Nabis, et Renoir passait l’été à Essoyes.

Bernard meurt à Paris, dans son appartement de l’île Saint-Louis, en 1941, à 73 ans.

10/02/2016

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Richard Gallo et son chien Dick, au Petit-Gennevilliers, Gustave Caillebotte

Richard Gallo et son chien Dick, au Petit-Gennevilliers, Gustave Caillebotte

Richard Gallo et son chien Dick, au Petit-Gennevilliers, 1884, hst, 89 x 116 cm, Gustave Caillebotte, collection Samuel et Paul Josefowitz.

Caillebotte (1848-1894), un mécène pour ses amis peintres, un camarade qui peignait aussi, et pour le grand public l’homme de la donation du scandale en 1894 après son décès. Sur les soixante-huit œuvres du legs Caillebotte, seulement trente-huit tableaux (de Manet, Degas, Renoir, Monet, Sisley, Pissarro, Cézanne) seront acceptés par l’État. Puis Caillebotte redeviendra un peintre aux yeux du public d’abord américain, puis français après l’exposition de 1994.

Le tableau du jour a été peint près de la maison que Caillebotte a achetée au Petit-Gennevilliers en 1881. À cette époque, Claude Monet a déjà quitté Argenteuil (que l’on voit sur la rive en face). Caillebotte régate au Cercle de la Voile de Paris, installé près du pont routier, à quelques centaines de mètres de chez lui.

Richard Gallo est un ami de longue date de la famille Caillebotte. Il apparaît déjà sur la Partie de bésigue, tableau de 1881. Il devint rédacteur puis directeur du «  Constitutionnel ».

La maison de Caillebotte sera léguée après sa mort à sa compagne Charlotte Berthier, qui l’habitera jusqu’en 1903. Incluse dans l’emprise des usines de motos Gnôme et Rhône, elle sera détruite lors des bombardements du 10 mai 1944. Le terrain est maintenant enclavé dans l’usine Snecma.

De nombreux éléments frappent dans ce tableau. Tout d’abord une conception photographique ou cinématographique de la composition. C’est un arrêt sur image, on imaginerait volontiers un travelling. Ensuite un plan d’eau coloré. Manet avait fait rire au Salon avec son « Argenteuil » en 1875 dont public et critiques raillaient le bleu trop soutenu. L’œil a déjà changé neuf ans plus tard. Mais en même temps la pollution de la Seine, une des causes de départ de Monet, se remarque et les algues ont envahi le plan d’eau. De l’autre côté de la rivière, c’est Argenteuil et son industrialisation rapide, du fait de la gare. Gallo et son chien ne sont pas réellement les vedettes dans cette toile mais surtout des taches foncées contrastant avec la Seine, l’herbe et les arbres, et le ciel. Un tableau lumineux, caractéristique de la peinture de plein air introduite dans la décennie précédente, mais qui ne fait aucune concession à la sûreté du dessin.

08/02/2016

Photo wikimedia commons Gustave_Caillebotte_Richard_Gallo_and_his_Dog_at_Petit_Gennevilliers.jpg Usr Paris 16

Bachi-bouzouk, Jean-Léon Gérôme

Bachi-bouzouk, Jean-Léon Gérôme

Bachi-bouzouk, 1869, Jean-Léon Gérôme, Metropolitan Museum of Art, New-York.

De 1822 à 1900, l’Orient proche est à la mode, les odalisques d’Ingres (le Bain turc en 1859) ou Delacroix (1857) répondent aux turqueries de Pierre Loti (Ayzadé paraîtra en 1879). C’est la période de la guerre d’indépendance de la Grèce (1822-29), de la colonisation de l’Afrique du nord (1830-1857), de la campagne de Crimée (1853-56) enfin pendant laquelle l’Empire ottoman est l’allié de la France.

Au-delà des jeunes femmes qui font rêver les peintres, s’expriment d’autres exotismes. Parmi eux, les bachi-bouzouks, des mercenaires de l’armée ottomane, souvent d’origine albanaise, mais pouvant comme dans ce tableau être africains. Ces soldats sont d’abord des cavaliers, à l’armement très léger, à l’uniforme folklorique (başıbozuklar signifie « têtes non standardisées « ) et peu disciplinés, employés pour terroriser et piller les populations.

Jean-Léon Gérôme est un peintre académique qu’on qualifiait il a encore dix ou vingt ans de pompier, et qu’on regardait avec un certain mépris. Il était l’ennemi intime de Manet. En 1894 encore, il va prendre la tête des opposants au legs Caillebotte ! Choqué par la présence d’impressionnistes à l’Exposition Universelle de 1900, il empêche le président Loubet de pénétrer dans la salle en lui disant : « C’est ici le déshonneur de l’art français ».

Et pourtant ! Bien sûr, la pose est académique mais rien de mièvre, contrairement aux œuvres de Bouguereau ou Cabanel, dans ses compositions. Le fier guerrier qui pose pour ce tableau est impressionnant tant dans sa physionomie, que dans ses vêtements et son accoutrement. Un signe qui ne trompe pas : le Metropolitan Museum en a fait la couverture de son catalogue général.

Enfin, est-il besoin de rappeler que traiter quelqu’un de bachi-bouzouk n’était pas un compliment… dans la bouche du capitaine Haddock ?

04/02/2016

Photo VisiMuZ

P.S. : S’il avait un rapport avec la peinture, nous vous parlerions bien aussi d’Eugene Jacques Bullard, une personnalité exceptionnelle, le premier pilote noir des Forces Alliées, engagé volontaire en 1914 en France dans la Légion Étrangère. Il était compagnon d’armes de Moïse Kisling et Blaise Cendrars. Même si, du fait de l’époque, il a souffert, trop souvent, du racisme (mais beaucoup moins en France qu’aux États-Unis où il était né), peut-être que, contrairement à une croyance à la mode, les gens et les époques ne sont ni tout blancs, ni tout noirs !

Chocolat dansant dans un bar, Toulouse-Lautrec

Chocolat dansant dans un bar, Henri de Toulouse-Lautrec

Chocolat dansant dans un bar, 1900, fusain, encre de Chine, crayon bleu, 65 x 50 cm, Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi

Nous avions prévu de vous parler de Lautrec d’ici trois semaines, mais l’actualité nous a rattrapé. Rafaël Padilla, dit Chocolat , est la vedette d’un film qui sort demain mercredi avec Omar Sy et James Thierrée dans les rôles principaux. L’occasion de braquer les projecteurs sur la France de 1900.

Et par la même occasion sur Toulouse-Lautrec, dont VisiMuZ publie la biographie enrichie de 200 reproductions d’ici trois semaines.

Un petit détail nous gêne un peu. Durant toutes les interviews de promo qui ont eu lieu depuis samedi, jamais personne n’a attiré l’attention sur les dessins que Lautrec a réalisés de Footit et Chocolat. Henri aimait le cirque, profondément et sincèrement. Et il aimait ses acteurs, écuyers, acrobates, dompteurs, clowns, etc. Il l’a montré une fois de plus quand il a réalisé de mémoire toute une série de dessins lorsqu’il a été enfermé dans la clinique du Dr Sémelaigne, à Neuilly en 1899. La promo du film insiste beaucoup sur le racisme. C’était la réalité de l’époque mais Lautrec était au-dessus de çà et nous le montre.

Duret raconte : « Lautrec a prouvé ici, encore une fois, qu’un véritable artiste peut élever tout ce qu’il touche. Il a fait pour le cirque ce qu’il avait fait auparavant pour le Moulin Rouge. Il a donné du style à ses divertissements. Les écuyers, écuyères, dompteurs, ont pris avec lui une tournure d’athlètes, les chevaux une allure de force et de dignité. Les sujets ne sont pas tous de l’ordre équestre relevé. Plusieurs ont été demandés aux coulisses ou suggérés par les bouffonneries des clowns. Dans cette dernière donnée, Lautrec ne pouvait oublier Chocolat, un noir qui a longtemps fait la joie du Nouveau Cirque et était connu de tout Paris. »

Dans notre dessin du jour, Chocolat n’est pas le clown souffre-douleur de la piste du cirque. Il est au contraire la vedette dans le bar d’Achille. Sur un autre dessin, il tient son rôle de clown en montant un cheval de façon fort peu académique.

Alors, le talent de Chocolat a peut-être été oublié, mais pas par les admirateurs de Toulouse-Lautrec. Quand vous irez voir le film, ayez une pensée pour Henri de Toulouse-Lautrec.

La publication de notre monographie de Lautrec est prévue le 18 février.

02/02/2016

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad