À la Bastille, Henri de Toulouse-Lautrec

À la Bastille Henri de Toulouse-Lautrec

À la Bastille, 1888, huile sur toile, 72,5 x 49,5 cm, Henri de Toulouse-Lautrec, National Gallery of Art, Washington (DC).

Un tableau qui est à la fois une pensée pour les victimes du 14 juillet et un rappel du fameux hashtag #jesuisenterrasse.

Le titre est en relation avec la célèbre chanson de Bruant.

« Quand alle était p’tite, / Le soir, alle allait, / À Saint’-Margurite, / Où qu’a s’dessalait ; / Maint’nant qu’alle est grande, All’ marche, le soir, / Avec ceux d’la bande/Du Richard-Lenoir.
À la Bastille / On aime bien / Nini Peau d’Chien : / Alle est si bonne et si gentille ! / On aime bien / Nini Peau d’chien / À la Bastille. »

À la Bastille n’était plus une prison en 1886, mais un bar, où Jeanne Wenz, qui pose ici, était serveuse. Aristide Bruant écrivit aussi une chanson sur la vie de Jeanne, parue dans son magazine Le Mirliton, certes moins connue que « À la Bastille, on l’aime bien, Nini peau d’chien !».

Jeanne, dite Wenz a fréquenté en 1886-88, Frédéric Wenz, fils d’un industriel du champagne, ami de Lautrec. Cette jeune femme a côtoyé l’entourage du peintre pendant deux ans, avant de réapparaître dans une photographie au côté de Suzanne Valadon en 1890, et de disparaître définitivement en 1891.

Lautrec l’a peinte une dizaine de fois en deux ans. Ce portrait est le second de la série. Certes Lautrec était fasciné par les bars et ceux qui les fréquentaient, mais son œil acéré et son âme experte en tragédies avaient repéré celle qui allait se dérouler dans la vie de Jeanne Wenz.

Jeanne était alcoolique et avant toute étude médicale sur ce sujet, Lautrec a dépeint les quatre phases de l’alcoolisme : le constat (dans le tableau du jour), puis la honte (Clarks Museum, Williamstown), la négation (Poudre de riz, Amsterdam, musée van Gogh, le modèle est alors sans doute Suzanne Valadon) et l’évidence (Gueule de bois, Fogg Art Museum, Harvard, avec Suzanne Valadon). Le verre qu’elle tient devant elle tout en regardant de manière crâne le peintre (ou le spectateur du tableau) expose la situation. On sait que Jeanne était accro à l’absinthe.

Lautrec, qui a alors 24 ans, a réalisé un premier portrait de Jeanne dans une prise de contact assez neutre (La Femme au noeud rose, Chicago, Art Institute). Ici, le drame que pressent Lautrec est évoqué par la couleur brun-sombre du fond, alors que le premier plan est dessiné de manière assez académique, dans un portrait que l’artiste aurait pu présenter au Salon. Lautrec sombrera lui-même dans l’alcoolisme après 1895. La consommation d’absinthe sera interdite par le gouvernement français en 1914, quelques jours après la déclaration de guerre.

Comme pour d’autres tableaux de la même époque, le dessin dérivé sera publié dans Le Courrier français, n° 19, du 12 mai 1889, et bien entendu dans la biographie de Lautrec, avec 200 tableaux et dessins, parue chez VisiMuZ.

Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington

Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta, James Tissot

Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta,1876, James Tissot, Tate Britain, Londres.

Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta,1876, James Tissot, Tate Britain, Londres.

James Tissot (1836-1902), né Jacques-Joseph Tissot, est le plus britannique des peintres français. Il a vécu au moins trois vies. Durant la première sous le Second Empire, il a pour amis Degas, Flandrin, Fantin-Latour, Manet ou Whistler et participe à la vie mondaine de Paris. La seconde le voit à Londres, d’abord en 1862 et 1864 puis de 1871 à 1882. Après son retour définitif en France après la mort de sa compagne, il est touché par la grâce en 1888 et peint ensuite des sujets illustrant la Bible.

Son enfance dans une famille installée à Nantes et faisant le commerce du drap lui a donné très jeune le goût des étoffes et des ports. Tissot a été une des vedettes de l’expo d’Orsay en 2012 sur « l’Impressionnisme et la mode ». Certains avaient dit, un peu vite, qu’il était plus entré dans l’histoire de la mode que dans celle de la peinture.

Notre tableau montre une scène de séduction. Tissot est coutumier de ce trio (un homme et deux femmes, qu’on retrouve par exemple dans Portsmouth Dockyard (ca 1877), de cet homme (ici, un officier du bord) qui tente d’engager la conversation avec une jeune fille (timide et cachée derrière son éventail), protégée par son chaperon qui l’isole d’un contact plus proche avec le jeune homme. On est loin du réalisme. Le peintre montre une société de privilégiés, entre glamour, luxe et superficialité, dont le charme agit plus facilement avec la distance née du temps passé depuis cette époque. Le monde que dépeint Tissot n’a pas eu l’heur de plaire à l’écrivain et critique John Ruskin qui a évoqué à son propos de « simples photographies en couleurs de la société vulgaire ».
Mais on a vu il y a quelque temps à propos de Whistler que le goût de Ruskin en peinture était assez étriqué. Même si son succès a été grand de son vivant et qu’il n’eut contrairement à beaucoup de peintres jamais de problèmes de fin de mois, la reconnaissance de Tissot en tant qu’artiste va être tardive. En 1940, seules 40 de ses toiles étaient accrochées dans des musées. La situation a bien changé et on compte une vingtaine d’enchères au-delà du million de dollars pour les toiles de Tissot dans les quinze dernières années.

Photo wikimedia commons Thegalleryofhmscalcutta james tissot 1876 Usr Austriacus

Coup de vent devant Frascati, Eugène Boudin

Coup de vent devant Frascati, 1896, Eugène Boudin

Coup de vent devant Frascati, 1896, huile sur toile, 55,5 x 91 cm, Eugène Boudin, Petit Palais, musée des Beaux-arts, Paris.

Encore un tableau énigmatique quand seul le titre vous en est donné. On aperçoit au fond l’entrée du port (feu rouge de babord) du Havre. Frascati était un établissement de bains havrais, fondé en 1827, puis fermé en 1831 et réouvert avec des aménagements plus conséquents sur la plage en 1838. La station balnéaire du Havre est alors lancée et l’arrivée du chemin de fer en 1847 amène en masse des Parisiens sur la côte normande. En 1896, date de notre tableau, Frascati est donc une institution où il est important d’aller, où l’on vient aussi pour voir et être vu. Boudin, le roi des ciels, selon le mot de Corot, est aussi ici le roi de la mer. La mer est presque blanche d’écume, ce qui correspond effectivement à un coup de vent.

Les cabines de plage vont certainement souffrir de ce coup de vent, de même que l’épi de bois au premier plan. Une autre toile du même sujet et de la même année existe (collection particulière). La seule différence est la présence supplémentaire d’un cargo sur la mer. En 1896, Boudin à 72 ans, Il possède pleinement son art, peint souvent une toile en une seule journée, mais malheureusement va s’éteindre 2 ans plus tard.

18/07/2016

Photo Courtesy The Athenaeum Usr rocsdad

L’Hôtel de ville d’Auvers, le 14 juillet, 1890, Vincent Van Gogh

14 Juillet à Auvers, Vincent  Van Gogh

L’Hôtel de ville d’Auvers, le 14 juillet, 1890, huile sur toile, 72 x 93 cm, Vincent Van Gogh, collection particulière

En ce 14 juillet 1890, Vincent ne sait pas qu’il ne lui reste que quinze jours pour réaliser ses derniers tableaux. Il profite de l’ambiance, en ajoutant, comme souvent, du jaune de chrome dans sa peinture.

La célébration du 14 juillet n’existe alors que depuis 10 ans (avant, la fête, c’était le 30 juin, n’est-ce-pas messieurs Monet, rue Montorgueil et Manet, rue Mosnier). Elle inspire visiblement Vincent, qui déjà, en 1886, lui avait consacré un tableau.

Impression du quatorze juillet, Vincent van Gogh

Impression du quatorze juillet, 1886, huile sur toile, 44 x 39 cm, Vincent van Gogh,collection Hahnloser, villa Flora, Winterthur.

On peut voir toute l’évolution du peintre en quatre ans et la puissance que la lumière du midi a apportée dans sa peinture.

Toute une histoire à retrouver dans sa biographie chez VisiMuZ

Pour la célébration de la fête nationale, Vincent vient après Manet et Monet, avant Childe Hassam, dont nous avons parlé longuement ici, il y a quelques mois, et avant Dufy ou encore Marquet.

14/07/2016

photos wikimedia commons
1 File Van_Gogh_-_Das_Rathaus_in_Auvers_am_14._Juli_1890 Usr Mefusbren69
2 File : an_Gogh_-_Der_14._Juli_in_Paris.jpeg Usr Mefusbren69

Nature morte aux pommes et aux primevères, Paul Cézanne

Paul Cézanne - Nature morte aux pommes et aux primevères,

Nature morte aux pommes et aux primevères, ca 1890, hst, 73 x 92.4 cm, Paul Cézanne, Metropolitan Museum of Art, New York.

Cézanne ne voulait pas utiliser de fleurs fraîchement coupées dans ses natures mortes car son exigence de perfection lui faisait reprendre son sujet de nombreuses fois et les fleurs fanaient avant qu’il ait eu le temps de les peindre.

Il ne peignit des fleurs en pots que trois fois entre 1878 et 1906.

Les pommes sont par contre un motif récurrent liées à un souvenir d’enfance. Il avait défendu le jeune Émile Zola dans la cour de récréation du collège Bourbon à Aix. Il résulta de la bagarre gagnée par Cézanne une appellation : « Les deux inséparables ». Le lendemain, Émile apporta pour le remercier un panier de pommes à son défenseur. Paul dira beaucoup plus tard « Elles viennent de loin, les pommes de Cézanne ».

Notons aussi que le tableau du jour a appartenu un temps à Claude Monet.
Les deux amis sont restés proches jusqu’en 1886, année de parution de L’Œuvre, roman d’Émile Zola qui allait sceller leur rupture. On pensait jusqu’en 2013 que cette rupture avait été définitive à compter du 4 avril 1886 mais le passage aux enchères d’une lettre du 29 novembre 1887 de Paul à Émile a permis de montrer que cette rupture avait dû être plus progressive.

lettre à retrouver ici et biographie chez VisiMuZ de Cézanne par son ami Georges Rivière à retrouver là.

Photo wikimedia commons
File: WLA_metmuseum_Still_Life_with_Apples_and_a_Pot_of_Primroses_by_Cezanne Usr Kaldari

Les Joueurs de football, Henri Rousseau, dit le Douanier

Les Joueurs de football, Henri Rousseau

Les Joueurs de football, 1908, huile sur toile, 100,5 x 80,3 cm, Henri Rousseau, dit le Douanier, Solomon R Guggenheim Museum, New York

En 1908, Picasso et Fernande Olivier vivaient au Bateau-Lavoir. Modigliani aussi, mais il restait un peu en retrait.
Picasso était un admirateur de Rousseau, qu’Apollinaire avait surnommé le « douanier », alors qu’il n’avait été qu’un employé de l’octroi. Pablo acheta alors un tableau d’Henri, et décida d’organiser avec sa « bande » (Derain, Braque, Vlaminck), un banquet en l’honneur du douanier. Fernande Olivier a raconté plus tard (en 1933 dans Picasso et ses amis) que, les libations aidant, Rousseau aurait dit ce soir-là à Picasso : « Nous sommes les deux plus grands peintres de l’époque, toi, dans le genre égyptien, moi dans le genre moderne. »
On ne pouvait pas dire à cette époque que la phrase était surréaliste, cela aurait été totalement anachronique (le surréalisme date de 1924), mais l’esprit y était.
Notre tableau du jour participe de cet esprit. La phrase d’Henri n’était pas dénuée de tout fondement, Rousseau, dans le choix de ses sujets, était très intéressé par le monde moderne. Il a choisi le premier de représenter avions, ballons, ou encore des poteaux électriques. Ses joueurs de foot nous emmènent dans son monde un peu onirique, dans lequel les joueurs de foot pourraient faire partie des « brigades du Tigre ». On imagine de surcroit l’effet de ces costumes rayés sur les pelouses des stades. Et quid des fautes de main ? Mais que fait donc l’arbitre ?
Dès 1891, Félix Vallotton, alors critique d’art, avait écrit à propos de Rousseau et d’un de ses tableaux de jungle : « Il est à voir, c’est l’alpha ou l’oméga de la peinture, et si déconcertant que les convictions les plus enracinées s’arrêtent et hésitent devant tant de suffisance et tant d’enfantine naïveté… Il est toujours beau de voir une croyance, quelle qu’elle soit, si impitoyablement exprimée. J’ai, pour ma part, une estime sincère pour ces efforts, et je les préfère cent fois aux déplorables erreurs d’à-côté… »
Alors c’est qui le plus grand dans le genre moderne ?

04/07/2016

photo wikimedia commons : File:Henri_Rousseau_-_The_Football_Players.jpg Usr : Coldcreation.