Se perdre au musée : une fatalité ? ou pas !

Se perdre dans un musée est devenu un lieu commun. Mais est-ce vraîment une fatalité ?

Louvre PlanAprès un rappel de muséographie, nous allons étudier successivement :
A) Les choix muséographiques fondamentaux : la définition des collections (ici),
B) La scénographie: collections et bâtiments (ici),
C) Simplifier la visite des bâtiments : Identifier, classer (ici),
D) Pour classer, la gestion industrielle au service des visiteurs de musée (ici),
E) Être cohérent du système réel au système d’information (ici),

et montrer ainsi que se repérer au musée est aussi un problème classique d’organisation, pour lequel des solutions peuvent être apportées tant pendant la visite dans les bâtiments, que lors de la préparation de la visite.

Introduction : notions de muséographie

Cher lecteur impliqué dans la vie des musées, vous pouvez ignorer ces quelques lignes.

« Le terme « muséographie » définit « l’ensemble des activités entreprises pour la conception et la réalisation matérielle d’une mise en exposition d’objets ou d’idées, dans un musée. Le « muséographe » est donc l’individu qui intervient dans une mise en exposition – monstration d’un objet –, quelle que soit sa formation (artiste, historien de l’art, architecte, designer, etc.). » (définition de François Poncelet in « Regards actuels sur la muséographie d’entre-deux-guerres » article ici).
La muséographie comprend par exemple la manière d’accrocher les œuvres (de façon serrée et sur trois rangs comme avant 1920 ou sur un seul rang comme maintenant le plus souvent), le décor des salles mais aussi le classement des collections effectué au sein des bâtiments.
Le muséographe est « l’intermédiaire entre le conservateur, l’architecte et les publics » (in Concepts clés de muséologie ouvrage de l’ICOM sous la direction d’André Desvallées et François Mairesse- page 54).

A) Les choix muséographiques fondamentaux : la définition des collections

On suppose dans un premier temps que les choix fondamentaux de muséographie ont été déjà effectués par les conservateurs et la direction du musée.
Ainsi à la National Gallery de Londres, la muséographie est historique avant d’être géographique (œuvres du XIIIe au XVe siècle, œuvres du XVIe, etc.). On trouve ainsi Van Eyck et Botticelli dans deux salles adjacentes.
Au Louvre, la muséographie est d’abord géographique (École Italienne, Écoles du Nord, École Française) avant d’être historique.
On peut mélanger peintures et sculptures d’une même époque ou d’un même artiste dans la même salle (Ermitage, Saint-Pétersbourg) ou au contraire les classer dans des départements différents (Louvre).
On doit tenir compte aussi des contraintes juridiques : legs d’une collection à condition que la présentation ne soit pas modifiée (collection Lehmann au Metropolitan, collection Meyer à Orsay, collection Victor Lyon au Louvre, par exemple).
Lors des expositions, la muséographie peut aussi être comparative (Olympia de Manet à côté de la Vénus d’Urbin du Titien à Venise en 2013).
Nous supposons dans la suite que ce choix fondamental a déjà été effectué. À titre personnel, le visiteur peut parfois regretter ces choix, mais ils sont à la fois nécessaires et très structurants, et les professionnels des musées font des choix judicieux par rapport aux possibilités qui leur sont offertes et aux contraintes qui leur sont dictées.

B) La scénographie: collections et bâtiments

Une collection est exposée dans un ou plusieurs bâtiments. Notre propos va consister à débattre de la manière d’installer les collections dans ces bâtiments, mais surtout de la manière de communiquer ensuite auprès des publics par rapport aux choix effectués.
Exemple :
1) les collections : 5 collections (par exemple Peintures École Italienne, École du Nord, École Française, Antiquités Grecques et Romaines, Collection de Monnaies)
2) Les bâtiments : 2 bâtiments, le premier avec 2 niveaux, le deuxième avec 2 niveaux, soit 4 niveaux A, B, C, D.
Le problème consiste donc à présenter les cinq ensembles 1 à 5 dans les quatre bâtiments A à D. Bien évidemment d’autres contraintes que celles que nous évoquons ci-dessous peuvent exister au préalable, par exemple la taille et le volume de chaque collection. Ces contraintes ont également une incidence sur les choix muséographiques effectués plus haut. Toutefois ce qui suit s’applique dans tous les cas.

On peut alors :
2.1 Ne tenir aucun compte du bâtiment et les collections se suivent à cheval sur les bâtiments
Exemple :

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La contrainte alors est de baliser le parcours de visite pour que le visiteur se trouve dans un musée de type Ikéa c’est-à-dire dans lequel le parcours est imposé, comme lors de la traversée de ce célèbre commerce. C’est le cas par exemple au Musée Fabre de Montpellier, presque impossible à visiter de manière différente de celle qui est proposée (quand on ne le connaît pas).

2.2 Définir des collections dont la taille correspond à celle d’un bâtiment ou d’un sous-bâtiment logique
Exemple :

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2.3 Profiter des certaines caractéristiques physiques des bâtiments ou tenir compte d’un contexte historique pour dispatcher les collections aux endroits les plus adéquats.
Exemple

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Les choix ci-dessus sont des modèles de base sur lesquels se greffent de multiples variantes, en fonction des collections présentées et des bâtiments qui les accueillent, y compris lorsque des travaux exigent que certaines salles soient vidées et fermées pour une longue durée.

C) Simplifier la visite des bâtiments : Identifier, classer

Une fois les collections définies et installées, l’institution va communiquer avec les visiteurs. Mais c’est là que le problème commence. Se perdre dans un musée est devenu un lieu commun (voir par exemple sur ce blog ou de l’aveu même du Louvre dans le journal 20Minutes) et le visiteur croit souvent, à tort, que c’est de sa faute, alors que le plus souvent il est victime de lacunes dans l’organisation.
Certes, il s’agit d’un lieu dont la surface est le plus souvent importante, et, en dehors des musées proches de son domicile, un lieu qu’on ne visite que très rarement, donc dont le visiteur ne maîtrise pas l’organisation.
Les outils mis à disposition du visiteur comprennent :
– un plan organisé le plus souvent par niveau
– des tables tactiles dites multitouch, de surface variable
– une indication des salles fermées, sur le site web ou à la caisse à l’entrée (parfois)
– des parcours suggérés sur les applications pour smart-phones ou via la numérotation des audio-guides
– des bornes éventuellement dans les salles
et… j’en oublie sûrement.
Mais plusieurs autres phénomènes viennent alors se conjuguer pour compliquer la tâche des visiteurs :
– une signalétique incomplète ou imprécise dans les salles
– une présentation au mieux alphabétique qui ne tient aucun compte des réalités des bâtiments
– un manque de cohérence entre le système physique et le système d’information.
Remarquons à ce sujet qu’en introduisant un séquencement numérique des œuvres, l’audioguide a permis à la fois d’introduire une hiérarchisation des œuvres (celles qui portent un numéro d’audioguide et celles qui n’en portent pas) et un ordre de visite par numéro croissant
Alors que les œuvres ont été cataloguées et numérotées, ce n’est pas toujours le cas pour les ensembles et sous-ensembles à l’intérieur de l‘ensemble “musée”.
Pour cela quelques préconisations :
– Numéroter les salles, nommer les bâtiments, mais numéroter aussi les collections. Un numéro a deux fonctions. Une fonction d’identification mais aussi une fonction de classement. La numérotation prendra en compte des ensembles qui ne sont pas trop importants en taille et peuvent représenter à eux-seuls un but de visite.
– Ne pas hésiter à être redondant. Un nom et un numéro fournissent deux informations et on peut objecter que l’une des deux est superflue. Mais on se rend compte que l’appropriation par le visiteur se fait aussi grâce à cette redondance. À ce sujet, l’exemple des parkings publics est parlant. Chaque étage est associé à un numéro (information de base) mais aussi le plus souvent à une couleur et parfois même en plus à une lettre avec des mots clés (A comme abricot, arrosoir, avion, ou C comme café, cacahuète, coquelicot, etc…) correspondant à des objets facilement mémorisables (et pas A comme accord ou C comme concept).
– Expliciter la logique de présentation et de classement. Considérer le visiteur comme un adulte et lui expliquer le pourquoi des choix effectués. Une fois que ceci a été réalisé, le visiteur s’approprie la logique de présentation. Ainsi, toujours au Louvre, on comprend mieux le pourquoi des salles A,B,C pour les peintures de l’aile Sully, si on nous explique qu’il s’agit de trois collections issues de donations, qui respectent donc une logique d’ensemble à l’intérieur de chaque collection, et qui font que, par exemple, des Impressionnistes se retrouvent au Louvre.
Malheureusement, sur le plan il est juste écrit A,B,C entre les salles 22 et 73.

Pour illustrer notre propos prenons les Peintures françaises au Louvre.
Exemple au Louvre :

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Pour identifier de manière efficace, deux phrases doivent nous guider :
1) « La carte n’est pas le territoire », d’Alfred Korsybski, fondateur de la théorie de la Sémantique générale, repris entre autres par René Magritte dans Ceci n’est pas une pipe
2) «On n’informatise pas le bordel. »

La cartographie a été un enjeu majeur des Grandes Découvertes des XV et XVe siècles. La carte est une modélisation de la réalité. Seule une carte fiable vous permet d’arriver à bon port après une traversée. À contrario, une carte imprécise vous envoie sur les récifs. La problématique des visites de musées est identique. Une carte fiable du musée vous permet de vous repérer, de vous diriger, vers les objets qui vous intéressent. Une carte imprécise vous laisse à la sortie un sentiment de frustration, de visite inachevée.
La plupart des plans de musées ne sont pas faux. Ils sont juste inadaptés à une visite réussie, un peu comme si l’on se servait d’une carte routière pour faire le tour du Mont Blanc à pied ou aller de Quiberon à Cherbourg en voilier. Le problème se complique quand différents outils du musée ne sont pas cohérents entre eux.

Prenons trois exemples relatifs à l’identification des salles.

Le musée du Louvre nous dit (par exemple) sur son site Web, à la rubrique “Calendrier d’ouverture des salles”, département des Peintures et des Arts Graphiques :
« Les salles 15 à 31 à l’exception de la salle 26 (Espagne-Italie XVII-XVIII) : fermées le jeudi, le dimanche, le mercredi et le vendredi en nocturne. »

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Mais quand on regarde le plan, on trouve dans l’aile Richelieu des salles 15 à 31 École du Nord, dans l’aile Richelieu des salles 15 à 18 pour l’École française, dans l’aile Sully les salles 19 à 31, dans l’aile Denon des salles 15 à 31 et aucune indication n’est donnée quant à l’aile concernée. Quand on connaît le Louvre, la mention Espagne-Italie peut nous aider à deviner qu’il s’agit des salles de l’aile Denon.
De même sur le site à la rubrique “Oeuvres & Palais/ Collections et Départements / Peintures” il est écrit : « En raison de travaux, les salles 25 à 32 sont fermées jusqu’au printemps 2013. Une partie des œuvres a été déplacée dans la salle 24 » sans autres précisions.

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Il me paraît délicat pour un primo-visiteur de comprendre qu’il s’agit évidemment des peintures françaises de l’aile Sully. Mais l’ambiguïté vient aussi de ce que le nommage des salles n’est pas unique.

Prenons d’autres exemples dans d’autres musées. Notre culture nous a habitué à ce que la numérotation soit séquentielle et ordonnée. Dans une rue, le numéro 29 est après le 10 et avant le 71. Au musée d’Orsay, la salle 10 est au rez-de-chaussée, la salle 71 au niveau médian, et la salle 29 au niveau supérieur ou encore la salle 51 est située entre la salle 54 et la salle 55. Cherchez la logique !
De même, au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, la numérotation des salles a été revue, mais l’ancienne numérotation n’avait pas été effacée fin 2012 dans les salles et sautait toujours plus aux yeux que la nouvelle qui se fait discrète. Difficile de s’y retrouver !

Continuons avec un autre exemple relatif à la cartographie dans le bâtiment.
Sur le plan des collections des musées du Vatican du site web, le sens de circulation qui est pourtant fixé par le musée n’apparaît pas. Il faut pour le connaître télécharger un plan particulier caché ailleurs dans les méandres de ce site. On y apprend par exemple que le Braccio Nuovo (aile neuve) pourtant à cheval entre deux ailes n’est accessible que depuis le Musée Chiaramonti et pas par la galerie du musée chrétien (et en plus en 2013 cette aile est fermée pour restauration). Mais n’eut il pas été plus simple de faire figurer cette disposition sur un plan unique ? De plus le plan de gauche est orienté avec le Nord en haut mais le plan de droite depuis l’entrée donc avec le sud en haut. Tout est fait pour perdre le visiteur.

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Notre préconisation est simple : structurer proprement l’information pour simplifier la visite.

D) Pour classer, la gestion industrielle au service des visiteurs de musée

Ce paragraphe va nous permettre d’illustrer en quoi des techniques issues d’autres métiers sont appropriées pour simplifier la visite des publics.
De manière très générale le principe d’organisation sous-jacent à un classement des collections en vue de la visite consiste d’abord à bâtir une matrice des bâtiments et des collections.
Ci-après la matrice pour l’exemple vu en B-2.3 ci-dessus.

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À ce stade, il n’est pas indifférent de remarquer que ces méthodes et techniques sont utilisés depuis longtemps dans les usines, les chaînes logistiques, ou les surfaces commerciales pour optimiser les déplacements ou les implantations. Et même si nombre de musées ne peuvent pas directement être comparés à des usines ( à moins que.. la Tate Modern, par exemple, ou la Sucrière à Lyon, le CAPC à Bordeaux,….), les méthodes en question pourraient être utilisées pour une meilleure gestion des flux de visiteurs, et surtout une plus grande satisfaction des publics.
Une fois la matrice construite on va tenter de créer des blocs homogènes (on parle en mathématique de diagonalisation)

Ainsi si nous sommes dans le cas 2.2 avec bijection entre les sous-ensembles de bâtiments et les collections, on aura une matrice de type

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La collection 1 est dans le bâtiment A, la 2 dans le B et la 3 dans le C.
Seule la diagonale est remplie, et on est sûr que les parcours de visite sont simples. Mais ce serait trop facile si les visites de musées étaient calquées sur ce modèle idéal.

À ce stade notre propos reste théorique mais on peut commencer à entrevoir la difficulté sur l’exemple suivant.
Au Louvre : dix collections mais seulement huit départements de conservation : Antiquités égyptiennes, Antiquités grecques, étrusques et romaines, Antiquités orientales, Arts graphiques, Objets d’art, Peintures, Sculptures, Arts de l’islam.
Les collections “Orient méditerranéen dans l’Empire romain” sont à l’intersection de trois départements et “l’Histoire du Louvre et Louvre médiéval” n’a pas vraiment de département de rattachement.
Les bâtiments comprennent trois ailes (Denon, Sully, Richelieu) et onze niveaux (l’aile Denon n’a pas de 2e étage).

Ci-dessous, on a établi un tableau des collections et des bâtiments. Pour chaque niveau, on a mis en évidence la présence ou non d’une collection et le nombre de salles qui lui sont attribués. Noter que ce nombre de salles est approximatif et n’est pas un indicateur parfaitement fiable, d’une part parce que ces salles sont de tailles très diverses, et d’autre part parce que les salles sont différemment numérotées selon les niveaux. Mais, en première approximation, ceci représente déjà un indicateur de volumétrie.

La matrice de départ a été réalisée par aile et non par niveau. Il est vite apparu qu’en changeant certaines lignes et colonnes, on permettait de réaliser des blocs colorés plus homogènes, donc des visites plus condensées et plus simples pour les publics.
En colonnes on a indiqué chaque bâtiment et chaque niveau dans le but de minimiser les déplacements du visiteur; en regroupant les pavés de même couleur. La couleur est en principe celle qui est utilisée dans les plans fournis par le musée du Louvre.

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On se rend assez facilement compte sur cette matrice que, pour minimiser les déplacements, il faut commencer par l’aile Richelieu (au 2e étage) et les écoles du Nord, puis passer dans l’aile Sully, puis l’aile Denon au 1er étage (et que par contre passer du Louvre médiéval en bas à droite sur le schéma à la peinture flamande du XVIIe en haut à gauche est un non-sens d’un point de vue fatigue).
Un problème subsiste du fait que la simple découverte des peintures prend près d’une journée, et qu’en fait une seule matrice ne suffit pas pour le musée du Louvre (qui rappelons-le est tout de même le musée le plus important au monde).
Évidemment, effectuer ce travail de classement pour choisir l’ordre de présentation des collections est plus complexe qu’une simple présentation alphabétique mais il simplifie ensuite considérablement le temps consacré par le visiteur à s’orienter dans le musée.

E) Du système réel au système d’information

Une fois le système réel identifié et classé, intervient la 2e proposition indiquée plus haut en C, “On n’informatise pas le bordel”.
Et si la mise en place d’outils numériques vient se substituer à la réflexion préalable d’organisation, on obtient des résultats catastrophiques.
En reprenant les exemples de numérotation des salles indiqués plus haut, on peut imaginer à Orsay une présentation triée par numéro de salle qui donnerait une vision totalement fausse de la scénographie du musée.
Vous pouvez aussi vous amuser à faire une visite virtuelle par salle sur la base Atlas du Louvre. Vous aurez quelques surprises liées entre autres au mélange des numéros de salles entre les trois ailes !

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J’ai bien d’autres exemples en tête dans les plus grands musées.
Vous pouvez avoir dans votre équipe les meilleurs informaticiens ou médiateurs du monde, vous indiquerez dans ce cas toujours une information imprécise, ambiguë ou trompeuse au visiteur.

Les conclusions de ce premier article sont simples.
Pour aider le visiteur :
1) l’architecte-urbaniste du musée et de son système d’information modélise bâtiments et collections de manière logique et culturellement rapidement compréhensible pour que les visiteurs puissent s’approprier facilement les outils de médiation mis ensuite à leur disposition.
2 ) le médiateur expliquera au visiteur la logique de constitution des ensembles (bâtiments, collections) pour lui permettre de se repérer d’abord, de se déplacer ensuite plus facilement.

Au sein des guides VisiMuZ, c’est une de nos valeurs ajoutées de mettre en lumière ce deuxième point, la logique de visite.
La conception préalable de l’organisation dépend évidemment des efforts faits par l’institution muséale. Certaines sont déjà assez avancées dans ce domaine, mais pour les autres investir dans des outils et pratiques numériques avant de mener cette réflexion, risque d’être inutilement coûteux.