Ci dessus deux tableaux de Matisse des collections Harry Fuld et Paul Rosenberg spoliés et restitués respectivement en 2008 et en 2014.

Jusqu'à ce jour, lorsque l'on demandait aux différents moteurs d'IA combien il y avait eu de tableaux spoliés de Matisse dans la période 1933-1945, les réponses étaient très imprécises :

PERPLEXITY (juin 2025)
 « Le nombre exact de tableaux de Matisse spoliés entre 1933 et 1945 n’est pas précisément établi dans les sources officielles, car les archives restent incomplètes et les recherches se poursuivent encore aujourd’hui[*]

…/… le nombre de tableaux de Matisse spoliés entre 1933 et 1945 est estimé à une vingtaine à une trentaine d’œuvres identifiées à ce jour, mais il n’existe pas de chiffre officiel unique et définitif, car le travail d’identification et de restitution se poursuit encore »
[*] réponse détaillée en fin d'article.

Note : dans la suite, les numéros de code des tableaux font référence au catalogue de l'œuvre peint d'Henri Matisse (François Blondel, Hélène Ivanoff) paru en 2025 (plus de précisions et achat ici ).

Nous avons l'avantage d'avoir établi le catalogue de l'œuvre peint de l'artiste et d'avoir ainsi une vue plus synthétique. Nous arrivons donc (à ce jour) précisément à 41 (ou 42, les investigations sont en cours) tableaux spoliés.

Bien sûr, certaines recherches sont toujours en cours et ce nombre risque de légèrement augmenter dans les années qui viennent (Je pense en particulier à celles menées en Suisse sur les origines de tableaux passés par la galerie Bignou ou issus de la donation Georges Keller à Berne).

Contextes et réalités des spoliations

La spoliation se distingue du vol par son imprescriptibilité (dans les 44 pays signataires de la déclaration de Washington en 1998), le vol étant prescrit, après une durée variable selon les pays.

Quand on parle de spoliations, il est important de rappeler quelques éléments.
La spoliation peut provenir d'un pillage, d'un chantage ou menace, d'une confiscation ou d'une vente forcée.
Pour que la restitution d'un objet puisse être envisagé, il faut prouver à la fois la réalité de la spoliation, et valider le lien de propriété entre l'objet et son propriétaire. Dans la suite, nous nous limiterons pour Matisse au cas des peintures.

Depuis 1945, il existe donc deux cas principaux :

1 - un tableau recherche son propriétaire (tableaux "trouvés").

Il s'agit d'un cas un peu moins complexe à traiter, car les tableaux "orphelins" sont le plus souvent sous la garde de l'État (en France, les fameux MNR, Musée Nationaux Récupération). Les musées étudient alors le parcours du tableau afin de déterminer si des soupçons de spoliation s'appliquent. À notre connaissance, un tableau de Matisse est encore dans ce cas et l'étude est toujours en cours (numéro [28.614] Odalisque (Bayadère) au Stedelijk Museum d'Amsterdam), selon les éléments que nous a transmis le musée en 2024.
Le cas des tableaux spoliés par des États non signataires des accords de Washington est différent. Ainsi la Russie ne reconnait pas la spoliation d'un tableau de Matisse rapporté d'Allemagne de l'Est en Russie en 1948 : [30.101] Ballerine, ca 1927, emporté de la collection d'Otto Krebs à Holzdorf (Weimar) par la brigade des trophées de l'Armée rouge en 1947 ou 1949 et maintenant exposé à l'Ermitage (Saint-Pétersbourg).

2 - un propriétaire recherche son tableau (tableaux "recherchés").

Dans ce deuxième cas des tableaux recherchés, on trouve de nombreux tableaux de Matisse, spoliés entre 1933 et 1945, voire 1948. Il y a alors trois cas de figure secondaires :

a - le tableau a été restitué et le cas est clos. Les restitutions déjà réalisées concernent plus particulièrement quatre collections (Paul Rosenberg, Alphonse Kann, Robert Ellisen, Harry Fuld). 33 tableaux de Matisse ont ainsi été restitués entre 1945 et 2015 (le dernier suite à la découverte de la cache de Cornelius Gurlitt).

b - le tableau est apparu depuis 1945 (par exemple via une photographie couleur). Il y a un doute sur le détenteur actuel comme propriétaire légitime. C'est le cas le plus complexe. Faut-il en parler publiquement ? Souvent les chercheurs de provenance tendent à penser que le fait d'en parler risque de faire disparaître à nouveau le tableau (sauf lorsque le tableau est identifié dans la collection d'un musée européen ou américain).
Donnons deux exemples :
– La Cueillette des pois, gouache de Pissarro de la collection Simon Bauer, spoliée en 1943 et propriété d'un coiple d'Américains depuis 1995. Personne n'a rien dit à son sujet jusqu'à ce que la gouache soit prêtée pour une exposition en France en 2017. La Justice s'est alors mise en marche. Plusieurs années de procédure ont été nécessaires jusqu'à la restitution en 2020.
Il est clair que si cette spoliation avait été médiatisée avant le prêt en France, il y aurait eu peu de chance d'effectuer la restitution aux héritiers de Simon Bauer.
– Le Portrait de Gabrielle Diot est un pastel de Degas spolié à Paul Rosenberg. Un bras de fer a opposé les descendants du célèbre marchand d'art français et la galerie Hans, en Allemagne. Cette galerie l'avait vendu en 1974 à un client suisse. Le client (dont le nom n'est pas connu) et la galerie ont refusé dans les années 2000 d'envisager une restitution réclamée par les descendantes du marchand. Et les lois allemandes et suisses sont plus restrictives que les lois françaises dans le cas de demandes de restitutions.

Ces deux exemples (l'un réussi, l'autre infructueux à ce jour) montrent bien toute la difficulté d'établir une stratégie lorsque l’œuvre réapparaît dans un environnement litigieux.

Il existe au moins un tableau de Matisse (que nous connaissons) dans ce cas. Mais nous n'en dirons rien pour ne pas gêner les efforts de restitution.

c - le tableau n'est jamais réapparu depuis la spoliation et il est activement recherché. Il est parfois supposé détruit, dans d'autres cas on a seulement perdu toute trace. Cela concerne six tableaux de Matisse, dont nous parlerons plus loin.

Les 33 tableaux de Matisse spoliés et restitués depuis 1945

Nous n'indiquons ici qu'un résumé, les détails des mésaventures des tableaux étant indiqués dans notre catalogue Matisse.

collection Harry Fuld Sr. (1879-1932) et ses fils
[04.013] Le Mur rose de l'hôpital d'Ajaccio (ci-dessus)

collection Alphonse Kann (1870-1948)
[11.611] Le Ruisseau aux aloès
[16.020] Le Rideau jaune
[16.021] La Branche de lierre
[16.201] La Table de marbre rose
[22.119] Antoinette en noir
[26.030] Les Éperlans

collection Robert Ellisen (1872-1957)
[11.109] L'Idole

collection Paul Rosenberg (1881-1959)
[22.306] La Séance de peinture (L'Atelier de l'artiste ou La Liseuse à table) – Femme lisant devant l'artiste au chevalet
[22.402] Femme à l'ombrelle verte sur un balcon
[26.039] Étretat
[28.504] Femme au voile (Femme à l'éventail), restitution en 2015
[27.112] Deux odalisques, la terrasse
[29.004] Pianiste et joueurs de dames
[30.006] Odalisque au tambourin (Harmonie en bleu),
[30.202] Orientale assise par terre (La Blouse turque)
[37.005] L'Odalisque, harmonie bleue (Femme assise, appuyée sur le bras droit, Femme à la jupe verte)
[37.011] Femme en robe de soie bleue dans le salon vert (Robe bleue réfléchie dans le miroir)
[37.012] Femme en robe bleue dans un fauteuil ocre devant la cheminée – Femme rousse devant une cheminée (ci-dessus)
[37.013] Odalisque en manteau rouge
[37.014] Femme en blouse blanche et manteau rouge (Le Collier d’ambre)
[38.005] Deux femmes dans un intérieur avec feuillage (La Robe noire et la Robe violette),
[38.006] La Conversation
[39.002] Femme accoudée sur une table verte (Femme et pot de fougère
[39.003] Nature morte aux citrons avec pot d'étain
[39.004] La Blouse hongroise
[39.005] Fille en jaune et bleu avec guitare
[39.008] Femme en rouge avec nature morte de marguerites
[40.001] Femme endormie sur une table (Nature morte à la danseuse)
[40.003] Femme au fauteuil jaune dans une chambre
[40.004] Intérieur au vase étrusque
[40.006] La Robe persane
[40.008] Anémones et ananas sur fond rose

Les 6 tableaux de Matisse spoliés et disparus depuis 1945

Nous considérons qu'il convient de donner un maximum de publicité à ces tableaux disparus depuis la guerre. Ils sont au nombre de six.

[17.051] Les Deux Sœurs, 1917, 165 x 93 cm, collection Alphonse Kann, spolié [référence ERR Ka1064] en 1940 et disparu depuis.

[27.105]. Nu dans un fauteuil, avec une serviette sur les genoux, 1921 ?, collection inconnue, peut-être collection Georges Lévy (1887-1943 à Auschwitz) à Bordeaux (MöbelAktion 571) – peut-être brûlé dans l'incendie du château de Nikolsburg en 1945, tableau disparu depuis 1945. Sources : RG 260 M1943 Reel 13 NARA ; Bundesarchiv, B323/298a ; RV 103, RV 217, MAEE, Paris, France.

[28.101]. Odalisque allongée au torse nu et au pantalon rouge, 1921, huile sur toile, env. 54 x 65 cm, ex‐collection Bernheim‐Jeune, disparu depuis le 30 mars 1944 après l'incendie par les SS du château de Rastignac, La Bachellerie (24) et non retrouvé [RBS1117].

[28.003]. Intérieur, femme assise (Jeune femme à la blouse verte et la jupe rose), 1921, huile sur toile, 63 x 51 cm, disparu, spolié à Paul Rosenberg en avril 1941 à Libourne [réf. ERR PR37-RBS1125].
Logiquement aurait dû avoir été restitué, puisque mentionné dans les archives ERR comme retrouvé chez Martin Fabiani en 1945, mais signalé comme manquant en 1960 et depuis.

[40.007]. Femme au corsage rouge, anémones et branche d'amandier dans une potiche jaune, 1940/02, huile sur toile, 81 x 60 cm, spolié à Paul Rosenbeerg depuis avril 1941 à Libourne [réf. ERR PR27-RBS1136], entreposé à l'ambassade, puis au Louvre et musée du Jeu de Paume. Lydia Delectorskaya a indiqué en 1996 : « Partie en Suisse au début de la guerre, la toile reste introuvable. » [LD96, p 79]

[40.009]. Robe de tulle noir, anémones (Femme à table avec vase d'anémones sur un fond rouge), 1940, huile sur toile, 73 x 60 cm, volé à Paul Rosenberg en avril 1941 à Libourne [réf. ERR PR30-RBS1138] – arrivé à l'ERR le 5 octobre 1941 – peut-être échange n° 8 (Intérieur, non identifié) ou échange n° 12 (Femme à une table, non identifié), signalé comme échangé par Rochlitz, confondu par Max Stoecklin avec la Femme au fauteuil jaune [40.003] – vendu à Martin Fabiani, le tableau a disparu depuis. Paul Rosenberg le nomme aussi Femme en robe de soirée dans un fauteuil Louis XIII.

Ces six tableaux n'ont jamais été vus en couleurs. Il est vraisemblable qu'au moins quatre d'entre eux (et peut-être les six) existent. Leur donner de la visibilité peut permettre de les repérer dans une exposition, une vente publique, une publication, etc.

François Blondel - juin 2025

P.S. : nous n'avons pas indiqué dans cet article pour les tableaux restitués les sources qui nous ont permis ces conclusions. On trouvera plus de détails dans notre catalogue Matisse.

[*] Réponse complète de PERPLEXITY (juin 2025)
« Le nombre exact de tableaux de Matisse spoliés entre 1933 et 1945 n’est pas précisément établi dans les sources officielles, car les archives restent incomplètes et les recherches se poursuivent encore aujourd’hui. Cependant, plusieurs éléments permettent d’approcher une estimation :
Les bases de données de restitution et les recherches menées par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 mentionnent que des œuvres de Matisse figurent parmi les tableaux identifiés comme spoliés et restitués, mais elles ne donnent pas de chiffre global spécifique pour Matisse.
Les restitutions récentes et les dossiers de presse relatent plusieurs cas individuels de tableaux de Matisse restitués à des ayants droit, mais il s’agit de quelques œuvres à chaque fois, sans total consolidé.
Les estimations d’experts et de chercheurs évoquent un nombre situé entre une vingtaine et une trentaine de tableaux de Matisse spoliés formellement identifiés à ce jour, mais ce chiffre pourrait évoluer avec la poursuite des recherches et la découverte de nouvelles œuvres.
En résumé, le nombre de tableaux de Matisse spoliés entre 1933 et 1945 est estimé à une vingtaine à une trentaine d’œuvres identifiées à ce jour, mais il n’existe pas de chiffre officiel unique et définitif, car le travail d’identification et de restitution se poursuit encore. »