Retour de l’école après l’orage, Chaïm Soutine

Retour de l'école après l'orage, Chaïm Soutine

Retour de l’école après l’orage, ca 1939, Chaïm Soutine, Phillips Collection, Washington (DC)

En 1939, Chaïm Soutine a complètement oublié les années de vaches maigres des années Modigliani. Il est maintenant un notable, fréquente le Tout-Paris, est par exemple l’ami de la décoratrice Madeleine Castaing, ou de l’écrivain Maurice Sachs. Il part en vacances en Bourgogne à Civry près d’Auxerre avec sa compagne Gerda Groth. Mais la guerre est déclarée le 3 septembre et ils ne peuvent plus rentrer à Paris. Ils sont assignés à résidence, lui comme russe, elle comme allemande. Ils vont rester là jusqu’en avril 1940.

C’est là qu’il va peindre une série de toiles sur le thème du Retour de l’école. Le paysage est plein d’une colère froide. Le vent est le maître et balaye les arbres et les herbes du pré. Sur le chemin, les enfants se hâtent fébrilement. La tempête ou l’orage ne sont pas seulement sur le tableau. Ils sont aussi dans la tête et le cœur du peintre. La guerre a réveillé la peur, l‘angoisse, du déraciné du shtetl de Slimovitchi. Préparant un tableau, il a été dénoncé par le curé et arrêté par les gendarmes comme espion de la 5e colonne, avant qu’un télégramme venu du ministère de l’Intérieur n’innocente le « grand peintre Chaïm Soutine ». Les enfants qui posent étaient Alexandre Einsild de la Salle et sa sœur Edmée, dont les parents étaient amis de Soutine. Alexandre a raconté les séances de pose (ICI). Gerda leur donnait des bonbons et du chocolat pour les faire tenir tranquilles.

Selon de nombreux historiens, les enfants ici symboliseraient l’innocence et la fragilité du peintre et de sa compagne, devant les forces telluriques qui se déclenchaient alors et venaient les menacer. Gerda va être déportée au camp de Gurs, et Soutine, obligé de se cacher parce que juif, a vu monter l’angoisse qui le transperça, jusqu’à sa mort d’un ulcère en août 1943.

Duncan Phillips, avec sa grande perspicacité, a acheté ce tableau dès 1940. Il a au demeurant proposé à Soutine de venir aux États-Unis, mais celui-ci a refusé.

29/10/2015

Dim 43,2 x 49,5 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Modigliani et l’École de Paris à Martigny

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Tel est le titre de l’exposition-phare de l’été à la fondation Pierre Gianadda à Martigny (Valais suisse) : 80 œuvres prêtées par le centre Pompidou, complétées par des prêts des musées suisses (Fondation Bührle de Zürich, musées de Berne, de Bâle, de Zürich, collections Gianadda, Merzbacher, etc.).
Rappelons que le terme d’École de Paris désigne les peintres ayant travaillé à Paris, au début du XXe siècle, souvent autour de Montparnasse mais aussi à Montmartre. Nombre d’entre eux étaient venus d’Europe centrale ou orientale (Chagall, Soutine, Survage, Pascin, Kars, Reth, Kisling, Zadkine, etc.). Il ne s’agit pas vraiment d’une école. Le terme apparaît en Allemagne avant 1914 en opposition au terme d’expressionisme allemand. Il ne sera utilisé en France qu’à partir du milieu des années 20.

Les toiles sont accrochées sur le pourtour de la salle principale du bâtiment et quelques cloisons annexes, le milieu de la salle étant occupé par les chaises du prochain concert à venir.

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Vue de la seconde partie de l’exposition depuis le bas de l’escalier

Comme pour chaque exposition en ce lieu, il vaut mieux commencer par le fonds à droite, et tourner dans le sens horaire pour suivre une démarche chronologique. Mais dans ce cas précis, les toiles de Modigliani, qui servent de fil rouge, ne sont pas accrochées chronologiquement. Il faut dire que la carrière de l’artiste est très courte, puisque seulement quatorze ans se sont écoulés entre son arrivée à Paris en 1906 et sa mort le 24 janvier 1920 à 35 ans.

L’accrochage commence avec un portrait de Maurice Utrillo en 1910 par André Utter, son copain d’enfance qui deviendra le mari de sa mère Suzanne Valadon, puis des toiles d’Utrillo (1883-1955), un Raoul Dufy (1877-1953) de 1908 et un autre de 1912, et des Modigliani de 1909 à 1915, dont un premier portrait de Béatrice Hastings, sa compagne en 1915-16.
On trouve ensuite pêle-mêle Léopold Survage (1879-1968), le futuriste Gino Severini (1883-1966) et aussi un intéressant tableau d’Alfred Reth (1884-1966) de 1912. Notons au passage qu’Alfred Reth, tombé injustement dans l’oubli, est, avec Georges Kars, un des seuls peintres exposés ici qui soit encore accessible sur le marché de l’art (toiles à partir de 3 000 euros, à comparer par exemple aux 31,4 millions de dollars de Modigliani avec Jeanne Hébuterne devant une porte, 1919 en novembre 2004 à New York ou aux 69 millions de dollars de La Belle Romaine en 2010 toujours à New York – à voir ici).
Il est judicieux, après ce premier côté, de quitter la grande salle et d’aller tout droit vers la collection permanente de Louis et Evelyn Franck, qui reste exposée en même temps que l’exposition temporaire.
En effet, Catherine Grenier, commissaire de l’exposition, a demandé à Antoinette de Wolf-Simonetta d’afficher ici une biographie de Modigliani, qu’il vaut mieux lire avant de continuer la visite, plutôt qu’à la fin de la visite. Notez que cette biographie se trouve aussi dans le petit journal disponible en pile à l’entrée et à la librairie, mais personne ne songe à vous le proposer.
Dans cette salle Franck, se trouvent des photographies (dont le fameux Baiser, célébré par Danièle Thomson dans Fauteuils d’Orchestre) et des sculptures de Constantin Brancusi (1876-1957), dont le centre Pompidou possède l’atelier, mais aussi d’Henri Laurens (1885-1954), d’Ossip Zadkine (1890-1967) ou Jacques Lipschitz (1891-1973).
Il serait dommage de ne pas regarder au passage les œuvres de la collection Franck : ♦Les Poissardes mélancoliques par James Ensor, un pastel de Picasso, deux Cézanne, un Kees van Dongen, un Toulouse-Lautrec, et surtout deux Van Gogh, dont le ♦Bébé Marcelle Roulin, 1888, un sujet dont VisiMuZ vous a longuement parlé dans le guide du Met à la fois dans la collection Annenberg et la collection Lehman.

Au retour dans la salle principale, et en continuant dans le sens horaire se trouvent un tableau de Kees van Dongen (♦La Grille de l’Élysée, 1912) et plusieurs œuvres de Suzanne Valadon (1865-1938) (voir l’hommage à Suzanne Valadon sur le blog VisiMuZ – ici ), bordés sur la cloison intérieure par des toiles et bronzes de Pablo Picasso entre 1905 et 1910, et entourés d’autres toiles et sculptures de Modigliani dont ♦Nu couché avec les bras derrière la tête, 1916 de la collection Bührle à Zürich, qui fait la couverture du catalogue et est accroché au centre du 2e côté de la grande salle.

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Amedeo Modigliani – ♦Tête de femme, 1912, Centre Pompidou.

La seconde partie de l’exposition présente alors d’abord un bel ensemble de Chaïm Soutine (1893-1943), deux toiles de Marc Chagall (1887-1985), des tableaux de Jules Pascin (1885-1930), un Henri Hayden (1882-1970) de 1912, la ♦Femme au châle gris, 1930 de George Kars (1882-1945), un artiste qui, ne supportant pas la tragédie de la Shoah, s’est suicidé en 1945, et enfin un très beau tableau de Moïse Kisling (1891-1953), la ♦Femme au châle polonais, ca 1928.

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Chaïm Soutine (1893-1943) – L’Idiot, 1920, musée Calvet, Avignon

Les toiles qui suivent présentent des peintres qui ne sont pas directement estampillés École de Paris mais sont d’autres témoins de l’époque : Juan Gris (1887-1927), Fernand Léger (1881-1955), Henri Matisse (1869-1954), André Derain (1880-1954). Avec les Picasso de l’autre mur, on a l’impression de se retrouver à une réunion chez Daniel-Henry Kahnweiler. Seuls Georges Braque et Maurice de Vlaminck manquent à l’appel.
L’exposition se termine en beauté avec plusieurs très beaux Modigliani dont ♦Nu debout (Elvira), 1918 et un portrait de ♦Jeanne Hébuterne au chapeau, 1919.

Gianadda_Elvira_9190Nu debout (Elvira), 1918, KunstMuseum de Berne

Gianadda_JeanneHebuterne_9201♦Jeanne Hébuterne au chapeau, 1919

La dernière compagne du peintre, enceinte de huit mois de leur troisième enfant, s’est donnée la mort le lendemain du décès d’Amedeo.

Pour les amateurs, au sous-sol du musée se trouve aussi une très belle collection d’automobiles anciennes. En complément, le parc, dit aussi le Jardin des Délices, habité par les sculptures, mérite une visite assez longue, au demeurant très agréable et reposante.

Informations pratiques :

21 juin – 24 novembre 2013 – tous les jours de 9 h à 19h – Billet payable en euros ou en francs suisses au choix, mais pas de carte de crédit.
Accès par le Léman, puis direction Grand-Saint-Bernard, ou par le col des Montets depuis Chamonix.
De Genève, 1h30 de route
Site de la fondation : http://www.gianadda.ch/wq_pages/fr/expositions/

Crédits photos : VisiMuZ