Portrait(s) du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 67 x 56 cm, Vincent van Gogh, collection particulière Ryoei Saito ?, Tokyo.

Portrait du Dr Gachet v2, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 68,2 x 57 cm, Vincent van Gogh, musée d’Orsay

Cet article est une réalité virtuelle. Jamais, dans le monde réel, ces deux portraits n’ont pu être accrochés l’un à côté de l’autre.

Le docteur Gachet a suivi Vincent pendant les quelques mois qu’il a passés à Auvers. La pose du médecin est mélancolique. Est-ce un aveu d’impuissance par rapport à son patient, quelques semaines avant sa mort ? Paul Gachet tient dans la main une branche de digitale pourpre, plante dont est tirée la digitaline, un médicament. Elle identifie donc le personnage en tant que médecin.

Le premier tableau est l’original. Il est dit aussi « aux livres ». Vincent en parle dans une lettre, ornée d’un croquis, du 3 juin 1890 à Théo : « Je travaille à son portrait la tête avec une casquette blanche très blonde très claire les mains aussi à carnation claire un frac bleu et un fond bleu cobalt appuyé sur une table rouge sur laquelle un livre jaune et une plante de digitale à fleurs pourpres …/… M. Gachet est absolument fanatique pour ce portrait et veut que j’en fasse un de lui si je peux absolument comme cela ce que je désire faire aussi. »

Notre tableau a gagné un surcroit de notoriété le 15 mai 1990 à New York. Mis en vente chez Christie’s, il a fait l’objet d’une bataille d’enchères et d’egos pour atteindre le prix fabuleux de 75 millons, soit 82.5 millions de dollars avec les frais. Il partira alors pour Tokyo et restera le tableau le plus cher du monde jusqu’en 2012 (date à laquelle un Cézanne le remplacera et depuis les records ont été battus deux fois en 2015, par Picasso pour les ventes publiques et le Gauguin de Bâle pour les ventes de gré à gré). De 1961 à 1984, on a pu voir cette toile au Metropolitan Museum auquel il avait été prêté.

Depuis 20 ans, c'est dire depuis la mort de Ryoei Saito en 1996, on ne sait plus où se trouve le tableau. Est-il dans les coffres d’une banque japonaise, créancière de Monsieur Saito ?

Mais l’histoire extraordinaire de la toile a commencé très tôt. Vendue par Jo, la veuve de Théo, en 1897 à Vollard pour 250 francs, elle est acquise finalement en 1911 par le Städel Museum à Francfort. Quand une œuvre entre dans un musée, le plus souvent, elle y reste.

Mais… en 1933 les nazis le décrochent. C’est pour eux de l’ « art dégénéré ». Hermann Goering s’en empare et le vend à une galerie d’Amsterdam. Il a été ensuite acheté par Siegfried Kramarsky, financier new-yorkais né en Allemagne, et conservée dans sa famille jusqu’à la vente de 1990.

Le tableau du musée d’Orsay est une réplique du précédent. La pose est approximativement la même mais les couleurs et la touche très différentes. Il est (heureusement) connu par une photo du galeriste Druet, qui avait pris une photo volée au salon des Indépendants en 1905.

Comme Vincent n’avait pas commenté cette réplique (ou qu'une lettre a été perdue), certains avaient mis en doute l’authenticité de cette toile. Mais la réalité est plus simple. L’original était destiné à Théo pour la vente. Et comme Gachet voulait le garder, il en a demandé une réplique à Vincent. Comment Vincent aurait-il pu dire non alors qu’il l’avait fait dans d’autres cas ? Mme Roulin par exemple ! Le Dr Gachet fils appelait ce portrait le « duplicatum ». La réplique est un peu moins fouillée, peut-être Vincent a-t-il voulu aussi simplifier pour obtenir plus de force expressive !

L’histoire ensuite est beaucoup plus classique, de Paul Gachet fils au musée du Louvre en 1949, et maintenant au musée d’Orsay.

Retrouvez les tableaux peints à Auvers et tous les autres, ainsi que la vie de Vincent dans la monographie publiée par VisiMuZ, ICI.


10/01/2016

Photo 1 wikimedia commons Van_Gogh_-_Bildnis_Doktor_Gachet Usr Mefusbren69
Photo 2 wikimedia commons File:Vincent_van_Gogh_-_Dr_Paul_Gachet_-_Google_Art_Project.jpg Usr Paris 16

Le Port de Saint-Tropez, Paul Signac

Le Port de Saint-Tropez , Paul Signac

Le Port de Saint-Tropez, 1901-02, hst, 131 x 161,5 cm, Paul Signac, musée national de l’art occidental, Tokyo

Paul Signac est arrivé (sur son voilier Olympia, ainsi nommé en hommage à Édouard Manet) à Saint-Tropez en 1892. Enchanté par l’endroit, il s’y installe et achète une maison : « La Hune ». Depuis, il n’a de cesse de peindre les bords de mer et surtout le port. À propos de cette toile, Signac écrit à son ami, le critique d’art Félix Fénéon (lettre, 13 février 1902) :

« Ici, calme. Commencé une assez grande toile. Port de Saint-Tropez. Arabesque bleu (quai, tonneaux, pêcheurs, filets barque) sur un fond très orangé (maison, clocher, tartanes, cargo-boat, torpilleur, brick, goélette) ».

Le peintre-yachtman se fait ici plaisir en montrant différents types de gréements, propices à des variations de formes et couleurs. Lorsque la toile sera exposée au Salon des Indépendants, le critique H. Bidou écrira, dans L’Occident (juin 1902) :

« Le sujet, conformément à son éclat et sa magnificence, s’enferme dans des lignes tournantes et constitue un ovale. L’architecture de cet ovale est marquée non seulement par les lignes, mais par les couleurs. L’arc inférieur (bateaux, pêcheurs du premier plan) est bleu tandis que l’arc supérieur, qui le prolonge et tourne dans le ciel, s’amincit et s’évapore en nuages couleur de laque. Dans l’ellipse formée par ce cadre froid d’outremer, de violet et de rose, resplendit au contraire l’or des maisons et des eaux… »

Joli compliment à l’artiste, n’est-il pas ? Un tableau pour se réchauffer dans cette grisaille de fin d’automne.

02/12/2015

Photo wikimedia commons : Paul_Signac_-_The_Port_of_Saint-Tropez_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot.

Nuit étoilée sur le Rhône, Vincent van Gogh

Vincent arrive en Arles en février 1888. Dès son arrivée, il va se préoccuper de transcrire sur une toile la nuit et ses effets. Il commence par en parler d’abord dans une lettre à son frère Théo puis à Émile Bernard. En septembre il met à exécution ses projets en peignant d’abord une Terrasse de café au « ciel constellé d’étoiles » et à « l’immense lampe jaune qui illumine la terrasse ».

Van Gogh Café-Terrasse de la place du Forum à Arles, le soir

Café-Terrasse de la place du Forum à Arles, le soir, 1888, hst, 81 x 65,5 cm, V. van Gogh, musée Kroller-Müller, Otterlo

Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône

Nuit étoilée sur le Rhône, sept.1888, hst, 72,5 x 92 cm, V. van Gogh, musée d’Orsay, Paris

Puis il va créer cette Nuit étoilée en septembre 1888. Dans sa lettre du 29 septembre (T543) à Théo, Vincent écrit : « Un ciel étoilé peint la nuit même sous un bec de gaz. Le ciel est bleu-vert, l’eau est bleu de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune, et des reflets sont or roux et descendent jusqu’au bronze-vert. Sur le champ bleu-vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose, dont la pâleur discrète contraste avec l’or brutal du gaz. Deux figurines colorées d’amoureux à l’avant-plan. »

Par rapport au Café-terrasse, les couleurs y sont plus subtiles (le jaune de chrome y est moins prégnant) et à cette époque Vincent a encore toute sa tête.

Quand il peindra plus tard, enfermé à Saint-Rémy sa Nuit étoilée (MoMA, New York) avec les cyprès et les spirales lumineuses qui ont fait sa gloire, son esprit ne sera plus le même, malgré les périodes de rémission.

Les tableaux du jour sont plus calmes et sereins, peut-être aussi grâce à ce couple d’amoureux.

La vie et les tableaux de Vincent sont à retrouver ICI.

10/11/2015

Photos wikimedia commons
1) File:Van_Gogh_-_Terrasse_des_Caf%C3%A9s_an_der_Place_du_Forum_in_Arles_am_Abend1.jpeg Usr Mefusbren69
2)Starry Night Over the Rhone Usr Stephantom

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez – Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Opus 236, 1892, Paul Signac, collection particulière.

En 1881, Signac habitait à Asnières. Ce n’est pas loin du Petit-Gennevilliers et, au Cercle de la Voile de Paris, Caillebotte a pris sous son aile ce jeune peintre qui a le goût de la navigation. Signac a acheté alors son premier bateau, une périssoire qu’il baptisa par provocation Manet-Zola-Wagner, trois noms scandaleux à l’époque. Il passe à la voile avec Le Tub, un nom qui est aussi un calembour entre le sujet de la femme à sa toilette, popularisé par Degas, et le bateau qui se remplit à la gite. Le Tub coulera dans la Seine le 14 septembre 1890 sans qu’il y ait de blessés (Félix Fénéon et Maximilien Luce étaient aussi à bord). Mais plus que la Seine, c’est d’abord la mer qui attire Paul ! Il passe les étés de 1885 à 1890 à Saint-Briac. En 1891, il passe commande de l’Olympia, ainsi nommé en hommage à Manet (qui était décédé en 1883), avec lequel il va aller à Concarneau puis rejoindra, sur les conseils d’Henri-Edmond Cross, Saint-Tropez, en passant par le canal du midi, accompagné par l’ami Théo van Rysselberghe.

Après une escale au Lavandou, où Théo débarque, Paul Signac arrive en solitaire à Saint-Tropez en mai 1892. Ce jour-là soufflait un fort vent d’est. Signac est donc arrivé sous voile au vent-arrière, et une fois la jetée passée a affalé rapidement. Tout s’est bien passé et son audace et sa maîtrise lui ont valu l’enthousiasme des pêcheurs présents qui l’ont salué avec leur casquette. Il écrit à sa mère : « Depuis hier je suis installé et je nage dans la joie. À cinq minutes de la ville, perdu dans les pins et les roses, j’ai découvert un joli petit cabanon meublé. Devant les rives dorées du golfe, les flots bleus venant mourir sur une petite plage, ma plage et un bon mouillage pour Olympia. Dans le fond les silhouettes bleues des Maures et de l’Esterel – j’ai là de quoi travailler pendant toute mon existence – c’est le bonheur que je viens de découvrir ». Tombé sous le charme de l’endroit il y achète la villa La Hune, qui appartient toujours à ses descendants. C’est aussi l’occasion d’évoquer une grande dame : Françoise Cachin (1936-2011), première directrice du musée d’Orsay (1986-1994) puis directrice des musées de France (1994-2001), était la petite-fille de Paul Signac.

Jusqu’en 1894, Signac le peintre donnera à chacun de ses tableaux un numéro d’opus ou des titres évoquant la musique (Allegro, Adagio).

27/10/2015

Dim 65,4 x 81,6 cm
Photo wikimedia commons The Port at Sunset. Saint-Tropez. Opus 236. 1892 (масло, холст)..jpg Usr Aesopus

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port–en-Bessin, le pont et les quais, 1888, Georges Seurat, Minneapolis Institute of Arts (MN)

Georges Seurat (1859-1891) a commencé à peindre des marines en 1885 à Grandcamp (Calvados). En 1886 il passe l’été à Honfleur. En 1887, il veut absolument finir son grand tableau de l’année (Les Poseuses, fondation Barnes, Philadelphie) et reste à Paris. L’année suivante il part pour Port-en-Bessin, après l’exposition d’Amsterdam, qui avait été organisée par Théo van Gogh. Paul Signac avait séjourné là en 1882 et lui avait recommandé le site, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Grandcamp.

Les marines constituent une partie importante de l’œuvre de Seurat. Comme il est mort à 31 ans, et que sa technique « de peinture au petit point » (comme disait Renoir) lui demandait beaucoup plus de temps, son catalogue raisonné comprend moins de 220 numéros. Ses recherches scientifiques, sa rigueur et son intransigeance en font un peintre difficile d’accès, auquel on reproche une trop grande froideur. Son caractère était très réservé, sa parole ne s’animait que pour défendre ses théories, et même son ami Signac évoquera plus tard un « aspect mécanique » dû à une couleur « trop divisée » et une « touche trop petite » (Journal, décembre 1897).

Mais que serait devenue sa peinture s’il avait pu éviter de mourir 3 ans plus tard ? Notre tableau du jour est particulièrement intéressant et montre une évolution puisqu’il s’agit du premier paysage maritime dans lequel l’artiste a introduit des personnages. Mais ils n’habitent pas le décor, ils sont là comme des fantômes. Beaucoup ont vu là les prémisses d’un Giorgio de Chirico avec ses places désertes ou d’un Paul Delvaux avec ses femmes désincarnées. Un paysage très construit, très architecturé, aux multiples points de vue, qui le rendent plein de poésie. Alors Seurat est-il un précurseur du surréalisme ? L’a-t-il vu venir ?

Seurat allait l’été au bord de la mer pour « se laver l’œil des jours d’atelier » selon ses confidences à son ami Émile Verhaeren.

22/10/2015

Dim 67 x 84,4 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, Théo van Rysselberghe

Madame van Rysselberghe et sa fille

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, 1899, Théo van Rysselberghe, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

Au-delà de la simple contemplation de cette toile, de multiples pensées nous assaillent, qu’elles aient trait à l’artiste, ou à l’homme et sa famille. La toile a été réalisée en 1899, Théo et Maria se sont mariés en 1889, leur fille Élisabeth est née un an plus tard. Alors que sa mère lit calmement, la petite fille de neuf ans a du mal à poser, et son père a réussi à nous montrer sa nervosité.

À cette époque, Théo van Rysselberghe vient de changer sa manière. Le strict pointilliste qu’il a été, le compagnon de Seurat et Signac, laisse place à un peintre moins extrême, influencé par l’art décoratif des Nabis. Sa palette est devenue plus éclatante. Le cadre familial respire la sérénité. On sent que Théo a du plaisir à peindre les différentes matières qu’il a multipliées à loisir : le bouquet de fleurs, le service à thé, les différents tissus, les papiers-peints, etc.

Le 26 décembre 1899, Théo écrivit à Signac : « La division, la teinte pure, je ne les ai jamais considérées comme un principe d’esthétique – moins encore comme une philosophie – mais bien, et uniquement, comme un moyen d’expression. Dès que ce moyen me semble incomplet, ou, pour mieux dire ma pensée, tyrannique, je modifie mon outil »

Mais les deux personnages nous émeuvent aussi par leur histoire hors du commun. Maria est connue en littérature comme « La Petite dame », elle a pendant près de 40 ans été l’historiographe d’André Gide. Les Van Rysselberghe et Gide se sont connus en 1899, l’année même de notre tableau.

24 ans plus tard, Élisabeth, qui avait grandi et voulait « faire un bébé toute seule » a donné naissance à Catherine, fille d’André Gide. Catherine Gide est décédée, à 90 ans, en 2013. Dès 1916, au retour des funérailles d’Émile Verhaeren, André Gide avait écrit à Élisabeth : « Je n’aimerai jamais d’amour qu’une seule femme et je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n’en pas avoir moi-même. » Ce sera chose faite quelques années plus tard à la suite d’un complot réunissant André, Marc Allégret, le compagnon de Gide, Maria, et Élisabeth. Théo, mis à l’écart, ne l’a su qu’après la naissance de Catherine. Il n’a pas revu son ami André jusqu’à sa mort trois ans plus tard.

Quand on connaît un peu l’histoire de la famille, il est impossible de ne pas y penser en regardant cette scène si paisible et si colorée.

09/10/2015

Dim : 96 x 129 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Moulin rouge, Henri de Toulouse-Lautrec

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Dressage des nouvelles par Valentin le désossé (Moulin rouge), 1889-90, hst, 115 x 150 cm, Henri de Toulouse-Lautrec, Philadelphia Museum of Art

Le Moulin Rouge a récemment fait parler de lui à New York ! Pas mal pour un établissement qui a l’âge de la Tour Eiffel ! Il a en effet ouvert le 5 octobre 1889 (anniversaire dans 5 jours) sur le site d’un autre bal qui avait fermé. Il avait été conçu par ses propriétaires (Joseph Oller et Charles Ziedler) pour éclipser tous ses concurrents (dont l’Élysée-Montmartre, le cabaret de Bruant, le cirque Fernando, le Chat noir…) dans ce quartier devenu l’épicentre des divertissements parisiens. La publicité fut massive à l’ouverture. Dans un supplément du Figaro illustré, il était décrit comme « un magnifique jardin contenant plus de 6 000 personnes, à l’ombre des grands arbres …/… », avec sa scène où l’on pouvait retrouver « …/…tous les soirs, un concert-spectacle de 8h30 à 10h, avant le bal. » L’article se poursuivait en précisant qu’on y retrouvait « les artistes peintres, sculpteurs, littérateurs, membres de cercles, danseurs, enfin le Tout-Paris, joyeux. »

Lautrec fréquenta très vite ce bal où il se sentait moins un intrus qu’au bal plus populaire du Moulin de la Galette. Remarquons au passage que l’électricité a conquis les lieux (une possibilité récente mais aussi une obligation depuis le tragique incendie de 1887 à l’Opéra comique, éclairé au gaz). Lautrec le souligne en donnant au tableau une luminosité et des teintes claires qui ne lui sont pas habituelles.

Le tableau fut présenté aux Indépendants en mars 1890, puis acheté par Le Moulin rouge. Il fut alors accroché au-dessus du bar, dans le foyer, à côté d’un autre célèbre tableau de Lautrec Au cirque Fernando : Écuyère.

Quelques-uns des personnages peuvent être identifiés et constituent un échantillon intéressant de la population cliente de l’établissement. Valentin, danseur et contorsionniste, était une figure du Moulin. Maurice Guibert et Paul Sescau en haut-de-forme, sont des amis du peintre, la femme en rose au premier plan a un rôle mal défini, peut-être une prostituée accompagnée de sa voisine moins jolie, faire-valoir « qui oblige » selon le mot de Bruant. Elle était dans la « vraie vie » un modèle professionnel qui avait aussi posé pour Anquetin. Pas moins de 26 personnages, dont les plus proches du spectateur sont pratiquement en grandeur nature, peuplent ce théâtre d’ombres qui fait écho à la publicité que nous avons citée plus haut.

30/09/2015

Photo wikimedia commons : Henri_de_Toulouse-Lautrec,_French_-_At_the_Moulin_Rouge-_The_Dance_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot

24/09/2015 La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, Édouard Vuillard

Vuillard – Villa Les Écluses Saint-Jacut

• La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, 1909, Édouard Vuillard, High Museum of Art, Atlanta (acquis en 2008).

En 1909, une bande d’amis parisiens séjourna pour toute la saison d’été à la villa du Plessix à Saint-Jacut.

Étaient là Jos et Lucie Hessel, Alfred Natanson et sa famille, Tristan Bernard, Édouard Vuillard. Quelques absents de la tribu : Thadée et Misia Natanson avaient divorcé en 1905, les Vallotton venaient d’acquérir leur résidence à Honfleur, les Bernheim-Jeune (beaux-frères de Vallotton, cousins germains de Lucie Hessel) sont à Villers.

L’été à Saint-Jacut a été studieux. Natanson et Bernard travaillaient à leur pièce « Le Costaud des Épinettes ». Vuillard peignait. Il musardait sans doute aussi avec Lucie Hessel. Vallotton avait présenté les Hessel, devenus ses cousins par son mariage, à son vieil ami Vuillard en 1900. Lucie est vite devenue la maitresse d’Édouard et le restera jusqu’à sa mort. Il semble que Jos Hessel, le mari de Lucie n’en ait jamais pris ombrage. Jos était aussi le marchand exclusif d’Édouard.

Notre tableau du jour a été peint près de la villa du Plessix. La villa « Les Écluses » a été construite vers 1900. Elle existe toujours.

On connaît bien Vuillard, peintre d’intérieurs, décorateur, l’homme des silences. On connaît moins ses tableaux d’extérieurs. Mais contrairement à Cézanne par exemple, il ne travaillait pas « sur le motif ». Son célèbre Kodak lui permettait de figer la scène, quelques esquisses et sa mémoire lui permettaient de reconstruire le tableau en atelier.

Le résultat dans ce tableau est tout à fait particulier, abstrait autant que figuratif. Vuillard mélange ici de la colle à l’huile Cela donne cette texture tout à fait particulière et supprime toute profondeur et tout modelé au profit d’un paysage en deux dimensions. Seul notre œil, accoutumé à la perspective, reconstitue la profondeur.

Dim : 47,3 x 46,7 cm.
Photo Wikimedia commons  La_Villa_Les_Écluses,_St._Jacut,_Brittany_by_Édouard_Vuillard,_High_Museum_of_Art.jpg Usr Wmpearl

19/09/2015 Madame Roulin, Paul Gauguin

19092015_Roulin_Gauguin

Saga hebdo 2/2

Madame Roulin, nov 1888, Paul Gauguin, Saint Louis Art Museum (MO)

Nous avons laissé hier Vincent avec madame Roulin en janvier 1889. En décembre, il avait certes déjà peint Augustine tenant le bébé Marcelle dans ses bras [Philadelphia Museum of Art et Metropolitan Museum of Art]. Mais le premier à avoir peint madame Roulin a été Paul Gauguin en novembre. Faut-il y voir un effet de ce charme sulfureux qui a valu à Gauguin ses succès féminins ?
Madame Roulin doit poser dans la chambre de Gauguin puisqu’on voit sur le mur le bas d’un autre tableau de Gauguin (Les Arbres bleus (Vous y passerez la belle !), aujourd’hui au musée d’Ordrupgaard, près de Copenhague). Est-ce une allusion symbolique ?

En décembre, Vincent va faire un autre tableau d’Augustine Roulin [collection O. Reinhart, Winterthour], portant la même robe, très inspiré par celui de Paul. Il va même de manière symbolique l’assoir sur la chaise de Paul.
D’un point de vue peinture, on sait que Cézanne n’aimait ni Gauguin, ni Van Gogh. Émile Bernard a rapporté ces mots de Cézanne : « Jamais je n’ai voulu et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation  ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. » [voir la bio de Cézanne à paraître dans 10 jours chez VisiMuZ].
Et pourtant ! Certes l’homme Gauguin est au mieux déroutant, au pire insupportable. Il a eu pourtant des amis fidèles (Morice, Monfreid, etc.) et s’il s’est fâché avec de nombreux peintres, tous ou presque reconnaissaient à l’artiste une certaine prééminence. Van Gogh a pris des leçons chez Gauguin qu’il a su faire fructifier. Maurice Denis a écrit : «  Gauguin n’était pas professeur, … mais Gauguin était tout de même le maître. »

Et Gauguin lui-même, avec un brin de fatuité, écrit à propos de ces quelques mois passés en Provence [l’intégralité à retrouver bien sûr dans la biographie de Gauguin par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ avec entre-autres les tableaux de Gauguin en Provence].

« Sans que le public s’en doute, deux hommes ont fait là un travail colossal, utile à tous les deux– peut-être à d’autres. Certaines choses portent leur fruit.
Vincent, au moment où je suis arrivé à Arles, était en plein dans l’école néo-impressionniste, et il pataugeait considérablement, ce qui le faisait souffrir  ; non point que cette école, comme toutes les écoles, soit mauvaise, mais parce qu’elle ne correspondait pas à sa nature si peu patiente et si indépendante.
Avec tous ses jaunes sur violets, tout ce travail en complémentaires, travail désordonné de sa part, il n’arrivait qu’à de douces harmonies incomplètes et monotones  ; le son du clairon. J’entrepris la tâche de l’éclairer, ce qui me fut facile, car je trouvai un terrain riche et fécond. Comme toutes les natures originales et marquées au sceau de la personnalité, Vincent n’avait aucune crainte du voisin et aucun entêtement.
Dès ce jour, mon Van Gogh fit des progrès étonnants  ; il semblait entrevoir tout ce qui était en lui, et de là, toute cette série de soleils sur soleils en plein soleil. »

Et vous ? Préférez-vous madame Roulin par Paul, ou par Vincent  ?

À lundi !

Dim 51 x 64 cm
Photo wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Madame_Roulin.jpg Usr Postdlf

La Berceuse, Vincent van Gogh

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Saga hebdo1/2

La Berceuse (Portrait de madame Roulin), janvier 1889, Vincent van Gogh, Metropolitan Museum of Art, collection Annenberg, New York.

Lorsque Vincent arrive en Arles au début de mars 1888… – mais écoutons Duret, son biographe :

« …il va y vivre replié sur lui-même. Il n’aura de relations avec aucun des habitants bien placés. Il ne s’inquiète point de rechercher leur société. Il ne se tiendra en rapports qu’avec cette sorte de gens, qui pourront lui être utiles. Des hommes et des femmes du peuple, qui voudront bien lui servir bénévolement de modèles ou qui, de par leur condition, se contenteront pour poser du faible salaire qu’il peut seul leur donner. Les individus de l’ordre le plus élevé qu’il peindra pendant son séjour à Arles sont un facteur de la poste, Roulin, et un sous-lieutenant de zouaves, Milliet. …/… Les relations avec le sous-lieutenant, qui quitte Arles assez promptement, furent de courte durée, mais elles se prolongèrent avec le facteur et conduisirent de sa part à un véritable attachement. Van Gogh a peint Roulin plusieurs fois dans son uniforme. Il a aussi peint sa femme et a exécuté d’après elle la composition qui s’est appelée La Berceuse. »

Récapitulons : six portraits du facteur, avec sa barbe fleurie, et 17 portraits d’Augustine, d’Armand, de Camille et du bébé Marcelle. Le moins qu’on puisse dire est que les modèles ont voulu lui faire plaisir. Le tout a été peint entre juillet 88 et avril 89.

Mais l’épisode de l’oreille coupée a eu lieu le 23 décembre 88. Notre tableau du jour date de janvier 89, c’est le premier portrait de madame Roulin en berceuse d’un berceau invisible (tenu par la corde). Il en réalise 4 autres versions ensuite. Aujourd’hui 2 tableaux sont aux Pays-Bas, les 3 autres aux États-Unis (New York, Chicago, Boston).

Vincent a précisé dans ses lettres qu’il voulait peindre au-delà d’un portrait un « type idéal » à « valeur de mythe », il ressentait le mouvement de la berceuse comme un thème « consolateur » rappelant le « propre chant de nourrice » et ce thème apaisait ses souffrances personnelles à l’hôpital.

Pour finir, dévoilons qu’entre 1895 et 1900, Ambroise Vollard, toujours à l’affût d’un bon coup, racheta les six toiles que Vincent avait données à Joseph Roulin, dont ce tableau. Un peu plus tard, il fera la même chose à Aix après la mort de Cézanne en 1906.

Les tableaux de la famille Roulin sont à retrouver dans la bio de Van Gogh… chez VisiMuZ bien sûr,
et la suite, assez surprenante, demain matin.

18/09/2015

Dim : 92,7 x 73,7 cm
Photo VisiMuZ

02/09/2015 Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

• Forêt tropicale avec singes, 1910, Henri Rousseau dit le Douanier Rousseau, National Gallery of Art, Washington (DC)

Ce tableau a été peint dans les derniers mois de la vie de l’artiste. Rousseau avait l’habitude d’inventer ses paysages luxuriants et de copier les animaux sur un répertoire d’images (albums publicitaires des Galeries Lafayette, du chocolat Menier…) ce qui leur donnait une grande précision.. sauf les singes. Les lignes de leur corps, cachées par les poils, lui semblaient plus faciles à reproduire, et il les créait sans modèle. Le résultat en ressort d’autant plus personnel, maladroit d’un point de vue naturaliste, avec des faces presque humaines. Les 2 singes du bas semblent se servir des deux cannes vertes comme des humains se servent de cannes à pêche amplifiant l’anthropomorphisme des animaux et une vision occidentale de la jungle telle qu’Hergé nous la présentera 21 ans plus tard (seulement) dans « Tintin au Congo ».

Dim : 129,5 x 162,5 cm
Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)

Bateaux de pêche sur la plage aux Saintes-Maries-de-la-mer, Van Gogh

Bateaux de pêche sur la plage aux Saintes-Maries-de-la-mer

Bateaux de pêche sur la plage aux Saintes-Maries-de-la-mer, juin 1888, Vincent van Gogh, musée Van Gogh, Amsterdam.

Pour retrouver ce tableau dans la biographie enrichie par VisiMuZ, cliquez ici
Vincent est arrivé en Arles fin février 1888. En juin, il décide d’une escapade. Il prend 3 toiles avec lui et monte dans la diligence pour les Saintes-Maries-de-la-mer. Après 5 heures de voyage il arrive et écrit à Théo (lettre 619) : « Je ne crois pas qu’il y ait 100 maisons dans ce village ou dans cette ville. Le principal édifice après la vieille église, forteresse antique, est la caserne.  »
Dans la même lettre à Théo, il laisse paraître son enthousiasme « La Méditerranée a une couleur comme les maquereaux c’est à dire changeante – on ne sait pas toujours si c’est vert ou violet – on ne sait pas toujours si c’est bleu – car la seconde après le reflet changeant a pris une teinte rose ou grise. »
Il n’en oublie pas d’être peintre : « Je me suis promené une nuit au bord de la mer sur la plage déserte. C’était pas gai mais pas non plus triste, c’était – beau. Le ciel d’un bleu profond était tacheté de nuages d’un bleu plus profond que le bleu fondamental, d’un cobalt intense, et d’autres d’un bleu plus clair – comme la blancheur bleue de voies lactées. Dans le fond bleu, les étoiles scintillaient claires, verdies, jaunes, blanches, rosées – plus claires, plus diamantées, davantage comme des pierres précieuses que chez nous – même à Paris.– c’est donc le cas de dire opales, émeraudes, lapis, rubis, saphirs. La mer d’un outremer très profond – la plage d’un ton violacé et roux pâle il m’a semblé – avec des buissons. »
Parmi les 3 tableaux résultats de de ce voyage, reproduits tous les trois dans « Van Gogh » par VisiMuZ, 2 sont à Amsterdam, le 3e est à Moscou (musée Pouchkine) .

18/09/2015

Dim 65 x 81,5 cm
photo wikimedia commons Vincent_van_Gogh_-_Vissersboten_op_het_strand_van_Les_Saintes-Maries-de-la-Mer_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot