Paul Gauguin dans la collection Chtchoukine

La Femme aux mangues, Gauguin, musée Pouchkine

Te Arii Vahine (La Femme aux mangues), 1896, huile sur toile, 97 x 130 cm, Paul Gauguin, Musée Pouchkine, Moscou.

Après son premier séjour entre 1891 et 1893, Gauguin est de retour à Tahiti le 9 septembre 95. En avril 1896, il écrit à son ami Daniel de Monfreid (le père d’Henri). «  Je viens de faire une toile de 130 sur un mètre que je crois encore meilleure que tout auparavant : une reine nue couchée sur un tapis vert, une servante cueille des fruits, deux vieillards près du gros arbre discutent sur l’arbre de la science ; fond de rivage …/… Je crois qu’en couleur je n’ai jamais fait une chose d’une aussi grande sonorité. Les arbres sont en fleurs, le chien garde, les colombes à droite roucoulent …… Celle-là fera hurler encore plus. Je suis donc condamné à mourir de bonne volonté pour ne pas mourir de faim. »

La pose du modèle provient directement d’Olympia (Manet, 1863), de la Vénus d’Urbin (1538, Titien, Florence) dont Manet s’était déjà inspiré, et aussi de La Nymphe à la source de Lucas Cranach (1518, Leipzig) dont on pense que Gauguin avait emporté une photo en partant pour Tahiti.

Les îles de Gauguin sont idéalisées par le mythe du paradis perdu et pleines de stéréotypes typiques de l’époque coloniale. Mais son modèle aurait été surpris du nombre de références typiquement européennes introduites par l’artiste dans le tableau.

Sa nouvelle Ève est allongée près de l’arbre de la connaissance, au tronc duquel le serpent s’est noué. Les deux vieillards « mateurs » (peu visibles à droite de l’arbre) sont un rappel de ceux de la Bible avec Suzanne. L’éventail au bout du bras droit décrit une auréole très chrétienne, les mangues évoquent le fruit défendu. Comment expliquer le linge que tient le modèle de la main gauche si on ne se réfère pas à la grande tradition de la peinture occidentale. Enfin la servante au fond est celle du Titien dans la Vénus d’Urbin ou de Manet dans l’Olympia. Simplement au lieu d’offrir des fleurs, elle cueille des fruits.

La toile a été acheté par Gustave Fayet en 1903, puis revendue au collectionneur russe Chtchoukine en 1908, pour le mur-iconostase Gauguin de sa salle à manger.

La collection Chtchoukine

La collection Chtchoukine fut saisie par les Soviets et est maintenant répartie entre Moscou et Saint-Pétersbourg.

Alors que les musées occidentaux se sont enrichis surtout via des donations, les collections d’art moderne et celles de la fin du XIXe à l’Ermitage (Saint-Pétersbourg) et au musée Pouchkine (Moscou) proviennent pour la plus grande part de deux collections privées, celles de Serge Chtchoukine et d’Ivan Morozov. De 1900 à 1917, ils n’achetèrent que le meilleur. Ils en furent mal récompensés puisque leurs collections furent nationalisées en 1918. Les deux hommes émigrèrent vers le pays dont les artistes leur avaient donné tant de plaisir : la France. Les collections ont été réparties largement au hasard entre les musées Pouchkine de Moscou et l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

Serge Ivanovitch Chtchoukine (1854-1936) était un industriel moscovite du textile, qui a débuté sa collection en 1894. Entre 1905 et 1911, Chtchoukine perd son frère, deux de ses quatre enfants, et sa femme. Fou de douleur, il se consacre totalement à sa collection. En 1909, il commande à Matisse la Danse et La Musique. Le peintre a séjourné ensuite à Moscou deux semaines en octobre-novembre 1911. De 1909 à 1914, Chtchoukine achète 50 Picasso. La guerre met fin aux possibilités de contact avec la France, il n’y a donc pas de Picasso d’après 1914.

En 1914, sa collection comprenait 258 tableaux (dont 50 Picasso, 4 Van Gogh, 13 Monet, 3 Renoir, 8 Cézanne, 16 Gauguin, 38 Matisse, 9 Marquet, 16 Derain). Il recevait le dimanche chez lui, et montrait sa collection à des amateurs d’art, des critiques et des artistes. En août 1918, il fuit la Russie, sa fortune convertie en diamants cachés dans la poupée de sa fillette Irina, et après un passage en Allemagne, se réfugie en France. En octobre 1918, Lénine déclare le palais et la collection de Chtchoukine propriétés du peuple. À ce jour, 149 tableaux sont à l’Ermitage et 84 au musée Pouchkine de Moscou, où ils font le délice des visiteurs.

Notre tableau du jour est à retrouver dans son contexte de l’époque dans la biographie de Gauguin par son ami Charles Morice, à retrouver en cliquant ici.

24/10/2016

Photo wikimedia commons : Queene_IMG_6945.JPG Usr Deror Avi

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), 1896, huile sur toile, 96 x 129 cm, Paul Gauguin, Neue Pinakothek, Munich, GW541 S371

Dans l’histoire de l’art européen, lorsque l’on évoque la Naissance de Jésus, ce sont souvent des images de nombreux peintres de la Renaissance italienne qui nous viennent à l’esprit, de Giotto au Corrège. Au deuxième rang, viennent les Primitifs flamands (Christus, Memling, Gérard de saint Jean, etc.). Il est plus rare chez les peintres de traiter ce thème au XIXe siècle.

Notre tableau du jour date de 1896, époque du 2e et dernier voyage de Gauguin. Il est reparti de Paris le 3 juillet 95 et arrivé à Tahiti le 9 septembre. Il partira pour les Marquises en 1901.

En 1896, son état de santé est très mauvais. Il souffre de sa cheville brisée dans une rixe à Pont-Aven en 1894, l’eczéma s’installe sur ses jambes, enfin la syphilis contractée avant son départ de France affaiblit son état général. Il passe les mois de juillet et août à l’hôpital de Papeete.

La composition correspond à une période de retour de Gauguin vers des sujets issus de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il peint à la même époque un Joseph et la femme de Putiphar (São Paulo) et un Autoportrait près du Golgotha (São Paulo également). Le fond du tableau à droite avec le bœuf des évangiles apocryphes est repris d’un Intérieur d’étable, du peintre Octave Tassaert (1807-1874), qui était dans la collection de Gustave Arosa, le tuteur de Paul lorqu’il était jeune.

Le contexte religieux est souligné par la présence des auréoles sur la tête de la jeune mère et du bébé.

Le motif central au second plan est repris d’un autre tableau Bé Bé, Nativité tahitienne (musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg), peint peu de temps auparavant. L’enfant serait l’un de ceux que Gauguin a eus à Tahiti, né en 1896.

Bé Bé (La Nativité tahitienne)

Bé Bé (La Nativité tahitienne), 1896, huile sur toile, 67 x 76,5 cm, Paul Gauguin, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, GW540 S370

Gauguin durant cette période se laisse parfois aller au mysticisme. Il commence d’écrire une étude sur l’Église catholique et les Temps modernes, une critique de la vision de Dieu par les prêtres et les philosophes. Il écrit par exemple « Dieu n’appartient pas au savant, au logicien. Il est aux poètes, au Rêve. Il est le symbole de la beauté, la Beauté même ». Il réfléchit déjà à sa grande toile de 1897 : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

25/12/2015

Photos
1 wikimedia commons : Gauguin_-_Te_Tamari_no_Atua_%28Son_of_God%29.jpg Usr Boo-Boo Baroo
2 wikimedia commons : File:Paul_Gauguin_061.jpg Usr Eloquence

Vahine no te Tiare (Tahitienne avec une fleur), Paul Gauguin

Le texte du jour est extrait de la biographie de Gauguin par Charles Morice parue chez VisiMuZ Éditions.

Charles Morice cite à cet endroit un texte qu’il a co-écrit avec Gauguin (Noa-Noa) et donne la parole à Gauguin. Notre tableau du jour est lié à cette histoire.

Tahitienne avec une fleur, Paul Gauguin

Vahine no te Tiare (Tahitienne avec une fleur), 1891, 70,5 x 46,5 cm, Ny Carlsberg Glyptothek, Copenhague, catalogues raisonnés S243 W420.

Nous sommes en juillet ou août 1891. Gauguin vient d’arriver quelques semaines plus tôt à Tahiti.

« J’essayais de travailler : notes et croquis de toutes sortes. Mais le paysage, avec ses couleurs franches, violentes, m’éblouissait, m’aveuglait. J’étais toujours incertain, je cherchais, je cherchais… C’était si simple pourtant, de peindre comme je voyais, de mettre sans tant de calcul, un rouge près d’un bleu ! Dans les ruisseaux, au bord de la mer, des formes dorées m’enchantaient : pourquoi hésitais-je à faire couler sur ma toile toute cette joie de soleil ?

Ah ! Vieilles routines d’Europe ! Timidités d’expression de races dégénérées !

Pour m’initier au caractère si particulier d’un visage tahitien, je désirais depuis longtemps faire le portrait d’une de mes voisines, une jeune femme de pure extraction tahitienne. Un jour, elle s’enhardit jusqu’à venir voir dans ma case des photographies de tableaux[*]…/…

Pendant qu’elle examinait curieusement quelques compositions religieuses des primitifs italiens, je me hâtai, sans qu’elle me vit, d’esquisser son portrait.

Elle s’en aperçut, fit une moue fâchée, dit nettement :

Aïta (non) !

Et se sauva.

Une heure après, elle était revenue, vêtue d’une belle robe, le tiare à l’oreille. Coquetterie ? Le plaisir de céder, parce qu’on le veut, après avoir résisté ? Ou le simple attrait, universel, du fruit défendu, se le fût-on interdit soi-même ? Ou, plus simple encore, le caprice, sans autre mobile, le pur caprice dont les Maories sont si coutumières ?

Je me mis sans retard au travail, sans retard et avec fièvre. J’avais conscience que mon examen de peinture comportait une prise de possession physique et morale du modèle, comme une sollicitation tacite, pressante, irrésistible.

Elle était peu jolie, selon nos règles esthétiques.

Elle était belle.

Tous ses traits concertaient une harmonie raphaëllique par la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui sait mettre dans une seule ligne en mouvement toute la joie et toute la souffrance mêlées.
Je travaillais en hâte, me doutant bien que cette volonté n’était pas fixe, en hâte et passionnément. Je frémissais de lire dans ces grands yeux tant de choses : la peur et le désir de l’inconnu ; la mélancolie de l’amertume, expérimentée, qui est au fond du plaisir ; et le sentiment d’une maîtrise de soi, involontaire et souveraine. De tels êtres, s’ils se donnent, semblent nous céder : c’est à eux-mêmes qu’ils cèdent. En eux réside une force contenue de surhumaine, ou peut-être de divinement animale essence.

Maintenant, je travaillais plus librement, mieux… »

Lorsque le mythe s’en mêle, les prix s’envolent. Notre tableau avait été en fait précédé de l’esquisse ci-dessous, toujours en mains privées, et c’est d’elle dont parle Gauguin plus haut quand il écrit : «  Je travaillais en hâte. »

Tête de tahitienne (La Fleur qui écoute) Paul Gauguin

Tête de tahitienne (La Fleur qui écoute), 1891, hst, 29,7 x 26,2 cm, collection particulière, catalogues S242, W421

Bien que de très petite taille, mais à la fois peinte par un artiste à la réputation sulfureuse et précédée par son mythe, elle a été vendue chez Sotheby’s Londres le 25 juin 2008 pour 3 594 000 euros.

[*]. Les lignes manquantes de ce texte sont celles que nous avons citées lorsque nous avons raconté l’histoire d’Olympia, par Paul Gauguin, une publication précédente du fil Facebook de VisiMuZ. [↰]

17/12/2015

Photo 1 – wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Tahitian_Woman_with_a_Flower_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot
Photo 2 – Courtesy The Web Gallery of Impressionism

Olympia, Paul Gauguin

Olympia, Paul Gauguin

Olympia, hst, 89 x 130 cm, Paul Gauguin, collection particulière, Oslo

Gauguin ? Oui. On sait que Manet (1832-1883) eut beaucoup d’influence sur ses cadets, que son Olympia devint un des symboles d’une nouvelle ère pour la peinture. On sait toutefois moins que Paul Gauguin (1848-1903) lui vouait une admiration sans bornes. Avant de devenir peintre, Gauguin était agent de change et était financièrement aisé. Il posséda alors deux tableaux de Manet. Mais c’est plus que de l’admiration qu’il voue à Olympia, c’est de l’amour. Ainsi en 1890, Henry Bidou, décrit la chambre de Gauguin au Pouldu : « La chambre de Gauguin était ornée de l’Olympia de Manet, du Triomphe de Vénus de Botticelli, de l’Annonciation de Fra Angelico, d’estampes d’Antamaro et de décorations de Puvis de Chavannes. »

Gauguin est parti à Tahiti le 4 avril 1891. Quelques semaines plus tard, une tahitienne s’enhardit et entre dans sa case. Gauguin décrit ainsi la scène :

« Pour m’initier au caractère si particulier d’un visage tahitien, je désirais depuis longtemps faire le portrait d’une de mes voisines, une jeune femme de pure extraction tahitienne.

Un jour, elle s’enhardit jusqu’à venir voir dans ma case des photographies de tableaux, dont j’avais tapissé un des murs de ma chambre. Elle regarda longuement, avec un intérêt tout spécial, l’Olympia.

— Qu’en penses-tu ? lui dis-je. (J’avais appris quelques mots de tahitien, depuis deux mois que je ne parlais plus le français). Ma voisine me répondit :

— Elle est très belle.

Je souris à cette réflexion et j’en fus ému. Avait-elle donc le sens du beau ? Mais que diraient d’elle les professeurs de l’école des Beaux-Arts !

Elle ajouta tout à coup, après ce silence sensible qui préside à la déduction des pensées :

— C’est ta femme ?

— Oui.

Je fis ce mensonge ! Moi, le tané[*] de la belle Olympia ! »

Le tableau du jour date du premier trimestre de 1891. Grâce à Monet, une souscription (19 415 francs collectés et versés à Suzanne Manet) et l’acceptation de l’État avaient permis que l’Olympia rentre au musée du Luxembourg en décembre 1890. Gauguin s’y est rendu pour la copier, pour essayer de comprendre ce qu’il y avait dans la tête de cet aîné qu’il admire tant. Il la copie d’abord sur place et termine la toile dans son atelier. Il y met assez de fidélité, malgré un tempérament si différent de celui de Manet, y compris avec le petit chat noir qui avait tellement scandalisé en 1865. Quand il s’embarque en avril pour Tahiti, il emporte la photo qu’il avait dans sa chambre du Pouldu.

Toute l’histoire est à retrouver avec tous les aspects de la vie de l’artiste dans la monographie écrite par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ !

[*] tané : à Tahiti, le mâle, le mari, l’amant.

21/10/2015

Photo wikimedia commons Gauguin_Olympia.jpg Usr Vriullop.

19/09/2015 Madame Roulin, Paul Gauguin

19092015_Roulin_Gauguin

Saga hebdo 2/2

Madame Roulin, nov 1888, Paul Gauguin, Saint Louis Art Museum (MO)

Nous avons laissé hier Vincent avec madame Roulin en janvier 1889. En décembre, il avait certes déjà peint Augustine tenant le bébé Marcelle dans ses bras [Philadelphia Museum of Art et Metropolitan Museum of Art]. Mais le premier à avoir peint madame Roulin a été Paul Gauguin en novembre. Faut-il y voir un effet de ce charme sulfureux qui a valu à Gauguin ses succès féminins ?
Madame Roulin doit poser dans la chambre de Gauguin puisqu’on voit sur le mur le bas d’un autre tableau de Gauguin (Les Arbres bleus (Vous y passerez la belle !), aujourd’hui au musée d’Ordrupgaard, près de Copenhague). Est-ce une allusion symbolique ?

En décembre, Vincent va faire un autre tableau d’Augustine Roulin [collection O. Reinhart, Winterthour], portant la même robe, très inspiré par celui de Paul. Il va même de manière symbolique l’assoir sur la chaise de Paul.
D’un point de vue peinture, on sait que Cézanne n’aimait ni Gauguin, ni Van Gogh. Émile Bernard a rapporté ces mots de Cézanne : « Jamais je n’ai voulu et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation  ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. » [voir la bio de Cézanne à paraître dans 10 jours chez VisiMuZ].
Et pourtant ! Certes l’homme Gauguin est au mieux déroutant, au pire insupportable. Il a eu pourtant des amis fidèles (Morice, Monfreid, etc.) et s’il s’est fâché avec de nombreux peintres, tous ou presque reconnaissaient à l’artiste une certaine prééminence. Van Gogh a pris des leçons chez Gauguin qu’il a su faire fructifier. Maurice Denis a écrit : «  Gauguin n’était pas professeur, … mais Gauguin était tout de même le maître. »

Et Gauguin lui-même, avec un brin de fatuité, écrit à propos de ces quelques mois passés en Provence [l’intégralité à retrouver bien sûr dans la biographie de Gauguin par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ avec entre-autres les tableaux de Gauguin en Provence].

« Sans que le public s’en doute, deux hommes ont fait là un travail colossal, utile à tous les deux– peut-être à d’autres. Certaines choses portent leur fruit.
Vincent, au moment où je suis arrivé à Arles, était en plein dans l’école néo-impressionniste, et il pataugeait considérablement, ce qui le faisait souffrir  ; non point que cette école, comme toutes les écoles, soit mauvaise, mais parce qu’elle ne correspondait pas à sa nature si peu patiente et si indépendante.
Avec tous ses jaunes sur violets, tout ce travail en complémentaires, travail désordonné de sa part, il n’arrivait qu’à de douces harmonies incomplètes et monotones  ; le son du clairon. J’entrepris la tâche de l’éclairer, ce qui me fut facile, car je trouvai un terrain riche et fécond. Comme toutes les natures originales et marquées au sceau de la personnalité, Vincent n’avait aucune crainte du voisin et aucun entêtement.
Dès ce jour, mon Van Gogh fit des progrès étonnants  ; il semblait entrevoir tout ce qui était en lui, et de là, toute cette série de soleils sur soleils en plein soleil. »

Et vous ? Préférez-vous madame Roulin par Paul, ou par Vincent  ?

À lundi !

Dim 51 x 64 cm
Photo wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Madame_Roulin.jpg Usr Postdlf

Dans les vagues, ou Ondine, Paul Gauguin

Gauguin – Dans les vagues, ou Ondine

Dans les vagues, ou Ondine, 1889, Paul Gauguin, Cleveland Museum of Art (OH)

En 1889, Paul Gauguin est en Bretagne, et jusqu’à présent il n’a peint dans l’eau que des baigneuses habillées (Musée national d’art occcidental, Tokyo) et des très jeunes baigneurs nus. Certes en Martinique en 1887, il a commencé à peindre des baigneuses, mais de retour en métropole, il n’avait sans doute pas trouvé de modèle à Pont-Aven pour ce thème. Et il lui faudra attendre encore 3 ans avant de peindre ses Tahitiennes sur la plage (Metropolitan Museum of Art).

Ondine fait la part belle à l’esthétique nabi. Composition s’éloignant du réalisme et construction d’un espace abstrait du tableau, contrastes forts des verts et orange, on n’est pas loin du symbolisme.

V. Jirat-Wasiutynsk, décortiquant l’œuvre de Gauguin, évoque à propos de cette jeune femme « sa sexualité offerte aux vagues » et « une étreinte dramatique avec la nature »
À retrouver avec tout Gauguin dans sa biographie enrichie par Charles Morice chez VisiMuZ : ICI.

23/07/2015

Dim 92 x 72 cm
Photo wikimedia commons File:Paul_Gauguin_-_%22In_the_waves%22_or_%22Ondine%22_-_1889.jpg Usr : Eloquence

Deux chaises et une oreille : Gauguin et Van Gogh

La littérature a eu, quelques années avant, son drame. En 1873, Verlaine a tiré sur Rimbaud. Mais la peinture ne va pas longtemps être en reste. Le 23 octobre 1888, Paul Gauguin rejoint Vincent Van Gogh pour fonder un « atelier du midi » qui reprendrait le concept de l’école de Pont-Aven, mais sous le soleil du sud.  La vie quotidienne s’organise, les deux hommes se partagent les tâches ménagères mais les relations se dégradent vite.
De leur éphémère collaboration, subsistent deux grands tableaux : Les Arlésiennes (Mistral), à l’Art Institute de Chicago, pour Paul Gauguin, et La Salle de danse à Arles à Orsay pour Vincent Van Gogh.

En novembre 1888, il pleut sur Arles et Vincent, bloqué à la maison, loin des paysages qu’il aime tant, va écouter les conseils de Paul pour des sujets plus « symbolistes ». Il peint deux chaises, la sienne et celle de Gauguin.  En effet, Vincent avait l’ambition d’accueillir d’autres amis artistes dans sa maison-atelier, et avait acheté plusieurs chaises, chacune devant refléter un peu de la personnalité de leur propriétaire. Cette idée était née à la mort de Charles Dickens en 1870, la revue « Graphic » ayant fait paraître la gravure d’une chaise vide (ici) pour peindre l’absence de l’écrivain. Les objets posés sur la chaise sont là pour évoquer un peu de la personnalité de leur propriétaire.
Vers le 19 novembre, Vincent écrit à son frère Théo :
« Si à quarante ans, je fais  un tableau de figures tel que les fleurs dont parlait Gauguin, j’aurai une position d’artiste à côté de n’importe qui. Donc persévérance. En attendant je peux toujours te dire que les deux dernières études sont assez drôles. Toiles de 30, une chaise en bois et en paille toute jaune sur des carreaux rouges contre un mur (le jour). Ensuite le fauteuil de Gauguin rouge et vert, effet de nuit, mur et plancher rouge et vert aussi, sur le siège, deux romans et une chandelle. Sur toile à voile à la pâte grasse.»

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Vincent_van_Gogh_-_De_stoel_van_Gauguin_-_Google_Art_Project

La Chaise de Vincent 1888 – National Gallery Londres, et La Chaise de Gauguin – Van Gogh Museum, Amsterdam

Vincent est le jour, Paul est la nuit. Pourquoi pas ?

Mais les relations se tendent  jusqu’à ce jour du 23 décembre où Vincent, le « Hollandais fou » menace Paul avec un rasoir avant de se trancher un morceau du lobe de l’oreille gauche. Il existe d’autres versions de l’histoire, comme celle d’un coup de rapière porté par Gauguin. On trouvera des commentaires sur un article du Figaro de 2009 (ici), à la suite de la parution d’une étude allemande.

Les deux hommes ne se reverront pas. Vincent un peu plus tard réalise des autoportraits le montrant avec l’oreille bandée (qui est donc à droite dans ses autoportraits au miroir).

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L’Homme à l’oreille bandée, 1889. Institut Courtauld , Londres

Il existe deux portraits de cet Homme à l’oreille bandée. Le premier est à l’Institut Courtauld à Londres. Si, passant par Londres avec votre guide VisiMuZ de la National Gallery (parution le 11 mars prochain), vous admirez La Chaise à la National Gallery, un détour s’impose pour aller jusqu’à l’Institut Courtauld (à 500 m à pied) pour voir la suite de l’histoire.

Le second (pour combien de temps encore ?) est dans une collection particulière à Chicago.
S’il est présenté dans une maison de ventes, nul doute que le montant d’adjudication sera pharaonique.

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Vincent a retrouvé Paul dans la salle de l’Institut Courtauld où leurs tableaux sont proches (photo ci-dessous). Permettez-nous à ce sujet à la fois une digression, un coup de cœur et un coup de gueule !

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La photo ci-dessus montre tout l’intérêt qu’il y a à (re-)découvrir les collections permanentes. Vous avez tout le temps, tout l’espace pour profiter des œuvres. On est loin de la foule agglutinée dans les expositions temporaires montées en épingle. Chez VisiMuZ, nous avons envie de vous emmener voir ces trésors accessibles, mais peu médiatisés, que sont les collections permanentes.

Crédits Photos :
1) La Chaise de Vincent
Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vincent_Willem_van_Gogh_138.jpg
User : Slick-o-bot licence : CC-PD-Mark
2) La Chaise de Gauguin
Lien http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vincent_van_Gogh_-_De_stoel_van_Gauguin_-_Google_Art_Project.jpg – User DcoetzeeBot – Licence : CC-PD-Art
3) VisiMuZ
4) L’Homme à l’oreille bandée
Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Self-Portrait_with_Bandaged_Ear_and_Pipe20.jpg
User : Nolan Licence : CC-PD-Mark
5) VisiMuZ