L’Hôtel de ville d’Auvers, le 14 juillet, 1890, Vincent Van Gogh

14 Juillet à Auvers, Vincent  Van Gogh

L’Hôtel de ville d’Auvers, le 14 juillet, 1890, huile sur toile, 72 x 93 cm, Vincent Van Gogh, collection particulière

En ce 14 juillet 1890, Vincent ne sait pas qu’il ne lui reste que quinze jours pour réaliser ses derniers tableaux. Il profite de l’ambiance, en ajoutant, comme souvent, du jaune de chrome dans sa peinture.

La célébration du 14 juillet n’existe alors que depuis 10 ans (avant, la fête, c’était le 30 juin, n’est-ce-pas messieurs Monet, rue Montorgueil et Manet, rue Mosnier). Elle inspire visiblement Vincent, qui déjà, en 1886, lui avait consacré un tableau.

Impression du quatorze juillet, Vincent van Gogh

Impression du quatorze juillet, 1886, huile sur toile, 44 x 39 cm, Vincent van Gogh,collection Hahnloser, villa Flora, Winterthur.

On peut voir toute l’évolution du peintre en quatre ans et la puissance que la lumière du midi a apportée dans sa peinture.

Toute une histoire à retrouver dans sa biographie chez VisiMuZ

Pour la célébration de la fête nationale, Vincent vient après Manet et Monet, avant Childe Hassam, dont nous avons parlé longuement ici, il y a quelques mois, et avant Dufy ou encore Marquet.

14/07/2016

photos wikimedia commons
1 File Van_Gogh_-_Das_Rathaus_in_Auvers_am_14._Juli_1890 Usr Mefusbren69
2 File : an_Gogh_-_Der_14._Juli_in_Paris.jpeg Usr Mefusbren69

La Mousmé, Vincent van Gogh

La Mousmé, Vincent van Gogh

La Mousmé, juillet 1888, huile sur toile, 73,3 x 60,3 cm, Vincent van Gogh, National Gallery of Art, Washington (DC)

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On sait que Vincent a été séduit par l’art japonais, ses aplats, ses lignes englobantes et qu’il a découvert avec bonheur l’art de Hokusai ou Hiroshige. De plus, déséquilibre psychique aidant, Vincent a considéré qu’Arles et plus généralement le midi correspondaient à l’atmosphère du Japon . Aussi dans sa période provençale, Vincent pense au Japon, il parle ainsi à son fère Théo de «  ce qui est l’équivalent du Japon, le midi. »

Une mousmé est selon l’argot de l’époque, un jeune fille japonaise de 12 à 16 ans. Le mot vient du japonais « musume » et avait été introduit en France par Pierre Loti. Vincent a peint ce tableau en juillet. Il est à cette époque relativement apaisé, sa vision du Japon correspond à cette sérénité. On sait que tout cela se finira mal avec le séjour de Gauguin à partir d’octobre et l’oreille coupée.

Retrouvez toutes les anecdotes de la vie de Van Gogh et les liens entre sa vie et son œuvre dans sa biographie chez VisiMuZ

La branche d’olivier en fleurs pourrait correspondre aux croyances de Vincent en des cycles de mort et de renaissance liés à la nature. Contrairement à plusieurs autres de cette époque (la série des Tournesols ou les portraits de la famille Roulin), cette toile n’a pas connu de réplique. Vincent y a mis toute son énergie et la considérait comme une de ses meilleures toiles de l’année. On ne sera pas surpris du côté « fashion » de la tenue de cette jeune arlésienne que n’aurait pas désavouée Christian Lacroix. Il suffit de savoir par exemple que la grande photographe Annie Leibovitz s’est inspirée de ce tableau dans le numéro de Vogue de décembre 2013 pour illustrer un article sur l’actrice américaine Jessica Chastain.

À voir ici pour les curieux

Photo wikimedia commons File:Vincent_van_Gogh_-_La_Mousm%C3%A9.jpg Usr Botaurus

La Tour Eiffel, Georges Seurat

La Tour Eiffel, Georges Seurat

La Tour Eiffel, 1889, hsp, 24,1 x 15,2 cm, Georges Seurat, Legion of Honor, Fine Arts Museums of San Francisco (CA)

Ainsi commence La vie errante, le récit de voyage de Guy de Maupassant qui fait suite à Sur l’eau.

« :J’ai quitté Paris et même la France, parce que la tour Eiffel finissait par m’ennuyer trop.

Non seulement on la voyait de partout, mais on la trouvait partout, faite de toutes les matières connues, exposée à toutes les vitres, cauchemar inévitable et torturant. Ce n’est pas elle uniquement d’ailleurs qui m’a donné une irrésistible envie de vivre seul pendant quelque temps, mais tout ce qu’on a fait autour d’elle, dedans, dessus, aux environs.

Comment tous les journaux vraiment ont-ils osé nous parler d’architecture nouvelle à propos de cette carcasse métallique, car l’architecture, le plus incompris et le plus oublié des arts aujourd’hui, en est peut-être aussi le plus esthétique, le plus mystérieux et le plus nourri d’idées ? Il a eu ce privilège à travers les siècles de symboliser pour ainsi dire chaque époque, de résumer, par un très petit nombre de monuments typiques, la manière de penser, de sentir et de rêver d’une race et d’une civilisation. Quelques temples et quelques églises, quelques palais et quelques châteaux contiennent à peu près toute l’histoire de l’art à travers le monde, expriment à nos yeux mieux que des livres, par l’harmonie des lignes et le charme de l’ornementation, toute la grâce et la grandeur d’une époque.

Mais je me demande ce qu’on conclura de notre génération si quelque prochaine émeute ne déboulonne pas cette haute et maigre pyramide d’échelles de fer, squelette disgracieux et géant, dont la base semble faite pour porter un formidable monument de Cyclopes et qui avorte en un ridicule et mince profil de cheminée d’usine.

C’est un problème résolu, dit-on. Soit – mais il ne servait à rien ! – et je préfère alors à cette conception démodée de recommencer la naïve tentative de la tour de Babel, celle qu’eurent, dès le XIIe siècle, les architectes du campanile de Pise.

L’idée de construire cette gentille tour à huit étages de colonnes de marbre, penchée comme si elle allait toujours tomber, de prouver à la postérité stupéfaite que le centre de gravité n’est qu’un préjugé inutile d’ingénieur et que les monuments peuvent s’en passer, être charmants tout de même, et faire venir après sept siècles plus de visiteurs surpris que la tour Eiffel n’en attirera dans sept mois, constitue, certes, un problème puisque problème il y a – plus original que celui de cette géante chaudronnerie, badigeonnée pour des yeux d’Indiens.

Je sais qu’une autre version veut que le campanile se soit penché tout seul. Qui le sait ? Le joli monument garde son secret toujours discuté et impénétrable…  »

Maupassant nous entraîne alors, avec le ton dont il a le secret, de Cannes à Florence, de Naples en Sicile, d’Alger à Tunis, de Kairouan à Sousse. Et VisiMuZ a retrouvé les tableaux, statues, etc. qui allient le plaisir de la contemplation à celui de la lecture. Retrouvez les 75 reproductions en lien avec le texte élégant, fluide, et plaisant de Guy de Maupassant.

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Photo 1 : Courtesy The Athenaeum, rocsdad
Photo 2 : VisiMuZ.

Nageuse se reposant, Théo van Rysselberghe

Nageuse se reposant, Théo van Rysselberghe

Nageuse se reposant, 1922, hst, 92 x 111 cm, Théo van Rysselberghe, collection particulière.

En 1905, Théo van Rysselberghe (1862-1926) s’est fait construire par son frère architecte la villa « Le Pin » au Lavandou. Il a ainsi rejoint ses amis néo-impressionnistes dans le Var. Depuis 1892, Cross habitait aussi au Lavandou et Signac à quelques kilomètres à Saint-Tropez.

En 1922, à 60 ans, le thème de prédilection de Théo reste les Baigneuses en groupe ou, comme ici, peintes isolément. Alors que dans ses portraits de société, il insiste sur les détails du décor, il le simplifie dans ses nus. Le dessin est très classique, caractéristique de cette époque, après la première guerre mondiale, qui a vu un retour au classicisme chez tous les peintres (même chez Picasso ou Léger).

La lumière et la couleur sont très puissantes, jouant sur le contraste simultané des couleurs bleues et orange en particulier. La lumière est celle qui précède le crépuscule, les ombres sont longues et le massif des Maures, les rochers du premier plan, le ciel et même la mer se teintent de rose. On pourrait presque sous-titrer « un classique chez les Fauves ».

N.B. : la municipalité du Lavandou a mis en place depuis la maison de Théo un « chemin des peintres », pas très évident à trouver, mais qui permet de juxtaposer le paysage réel et des reproductions de tableaux de Van Rysselberghe et de Cross. Un joli et instructif but de promenade.

La villa de Théo au Lavandou

La villa de Théo van Rysselberghe au Lavandou en 2015.

10/05/2016

Photo 1 : Courtesy The Athenaeum, Usr : rocsdad
Photo 2 : VisiMuZ

La Neige, Boulevard de Clichy, Paul Signac

La Neige, boulevard de Clichy, Paul Signac

La Neige, boulevard de Clichy, 1886, hst, 46 x 65 cm , Paul Signac, Institute of Art, Minneapolis

En 1886, Paris a déjà été profondément transformée. Le percement des avenues, le gaz, l’électricité sont apparus (mais l’éclairage électrique n’arrivera boulevard de Clichy qu’en 1889). Encore 15 ans et ce seront les premières voitures automobiles. Paul Signac (1863-1935) est en encore tout jeune, il n’a que 23 ans. Il travaille avec Seurat et Pissarro depuis 2 ans environ et ils mettent au point le divisionnisme (ou pointillisme). Ce n’est que le 19 septembre de cette année 1886 que le terme « néo-impressionnisme » apparaîtra (sous la plume de Félix Fénéon). En 1886, Van Gogh arrive aussi à Paris et il va y découvrir la couleur. Il deviendra l’ami de Signac en janvier 1887.

Notre tableau réalisé en janvier 1886 et repris avec une touche plus pointilliste en avril-mai est exposé en mai. Dans la Revue Moderne du 20 juin, Jean Ajalbert écrit : « Au boulevard de Clichy, la bourrasque tourbillonnante accroche de la neige aux arbres, aux maisons, aux tramways. Le paysage lilas-mauve, violet, s’opalit au loin ; autour du poste de secours, dont le réverbère de verre rouge apparaît sur la façade rayée d’alternatives bandes de briques blafardes ou sanguinolentes ».

Signac peindra peu de paysages de neige, il préférait la mer. Mais dans cet hiver 85-86, il réalisa sur ce thème quelques chefs-d’œuvre. Charles Angrand en 1901 lui reprochera de ne pas avoir plus poursuivi dans cette voie : « Vous avez trop peu d’effets de neige dans votre vie ». Mais les quelques tableaux qu’il nous a laissés sont assez remarquables.

18/01/2016

Photo wikimedia commons Paul_Signac_-_Snow,_Boulevard_de_Clichy,_Paris_-_Google_Art_Project Usr Dcoetzee

La Modiste, Mlle Margouin, Henri de Toulouse-Lautrec

<i>La Modiste, M<sup>lle</sup> Margouin</i>, Toulouse-Lautrec

La Modiste, Mlle Margouin, 1900, hsp, 61 x 49,3 cm Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi

Le tableau du jour nous renvoie à un imaginaire d’une richesse exceptionnelle.

L’environnement

Le Paris de la Belle Époque est celui de l’élégance et de la mode. Pour habiller ces dames, les boutiques de modes sont indispensables. On n’en compte pas moins de 2400 dans Paris à l’orée du XXe siècle.

La vie de Lautrec

En 1899, Lautrec a été interné dans la clinique du docteur Sémelaigne à Neuilly de la fin février au 17 (ou avant le 20) mai pour alcoolisme. Une fois sorti, il est toujours accompagné de l’amiral Viaud chargé de l’empêcher de boire. Ses amis cherchent aussi à le distraire pour le faire penser à autre chose. Ils l’entraînent dans les maisons de couture autour de la rue de la Paix.

Le modèle

L’une de ces maisons de couture est tenue par Renée Vert, la maîtresse du peintre et graveur Adolphe Albert. La modiste ici représentée serait Louise Blouet, dite d’Enguin, employée et mannequin chez Renée Vert (d’après les témoignages d’époque de Maurice Joyant entre autres). Sa chevelure rousse a été certainement pour beaucoup dans le choix de Lautrec de son modèle. Le peintre depuis les années 80 ne conçoit ses modèles féminins que roux.

Le tableau est souvent également appelé Mlle Margouin, un margouin étant à cette époque un mannequin en argot.

La composition et le tableau

Le moins que l’on puisse dire est que le thème de la modiste a eu beaucoup de succès en peinture entre 1880 et 1914. On peut rapprocher notre tableau de Chez la modiste par Renoir en 1878 (Fogg Art Museum, Harvard), par Manet en 1881 (San Francisco), par Paul Signac en 1885 (fondation Bührle, Zurich), de nombreux tableaux d’un Degas qui impliquait souvent Mary Cassatt dans ses compositions (par exemple Chicago, Met, MoMA, SLAM, etc..), d’une modiste d’Éva Gonzalès en 1877 (Chicago), de Félix Vallotton en 1894. Le début XXe siècle ne sera pas en reste avec Macke, Kirchner ou encore Picasso.

Pourtant, Lautrec, qui avait si souvent défrayé la chronique, nous donne ici un tableau extrêmement classique, un chef d’œuvre de clair-obscur que n’aurait pas renié Rembrandt. Mais il n’a pas oublié les leçons de la théorie des couleurs et, pour accentuer la lumière, baigne la chevelure rousse et les tons chauds du bois dans une débauche de vert. Mlle Blouet est représentée de profil, les chapeaux faisant comme l’ombre de sa tête et sa coiffure.

Louise a inspiré à Lautrec l’un de ses dernières passions. Hors de sa présence, il l’appelait Croquesi-Margouin. « Croquez-y » lui conseillaient ses amis. Pour réaliser son tableau, il a utilisé un panneau de bois, loin du carton dont il usait le plus souvent.

Et comme souvent, il transforme ici ce qui n’était au départ qu’un portrait individuel en une célébration plus universelle de la féminité et de l’élégance.

Le musée Toulouse-Lautrec, à qui le tableau a été légué par Maurice Joyant, donne une explication beaucoup plus politiquement correcte. Croquesi viendrait selon le musée de croquer, esquisser. Hmm ! Vous y croyez, vous ?

30/12/2015

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), 1896, huile sur toile, 96 x 129 cm, Paul Gauguin, Neue Pinakothek, Munich, GW541 S371

Dans l’histoire de l’art européen, lorsque l’on évoque la Naissance de Jésus, ce sont souvent des images de nombreux peintres de la Renaissance italienne qui nous viennent à l’esprit, de Giotto au Corrège. Au deuxième rang, viennent les Primitifs flamands (Christus, Memling, Gérard de saint Jean, etc.). Il est plus rare chez les peintres de traiter ce thème au XIXe siècle.

Notre tableau du jour date de 1896, époque du 2e et dernier voyage de Gauguin. Il est reparti de Paris le 3 juillet 95 et arrivé à Tahiti le 9 septembre. Il partira pour les Marquises en 1901.

En 1896, son état de santé est très mauvais. Il souffre de sa cheville brisée dans une rixe à Pont-Aven en 1894, l’eczéma s’installe sur ses jambes, enfin la syphilis contractée avant son départ de France affaiblit son état général. Il passe les mois de juillet et août à l’hôpital de Papeete.

La composition correspond à une période de retour de Gauguin vers des sujets issus de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il peint à la même époque un Joseph et la femme de Putiphar (São Paulo) et un Autoportrait près du Golgotha (São Paulo également). Le fond du tableau à droite avec le bœuf des évangiles apocryphes est repris d’un Intérieur d’étable, du peintre Octave Tassaert (1807-1874), qui était dans la collection de Gustave Arosa, le tuteur de Paul lorqu’il était jeune.

Le contexte religieux est souligné par la présence des auréoles sur la tête de la jeune mère et du bébé.

Le motif central au second plan est repris d’un autre tableau Bé Bé, Nativité tahitienne (musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg), peint peu de temps auparavant. L’enfant serait l’un de ceux que Gauguin a eus à Tahiti, né en 1896.

Bé Bé (La Nativité tahitienne)

Bé Bé (La Nativité tahitienne), 1896, huile sur toile, 67 x 76,5 cm, Paul Gauguin, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, GW540 S370

Gauguin durant cette période se laisse parfois aller au mysticisme. Il commence d’écrire une étude sur l’Église catholique et les Temps modernes, une critique de la vision de Dieu par les prêtres et les philosophes. Il écrit par exemple « Dieu n’appartient pas au savant, au logicien. Il est aux poètes, au Rêve. Il est le symbole de la beauté, la Beauté même ». Il réfléchit déjà à sa grande toile de 1897 : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

25/12/2015

Photos
1 wikimedia commons : Gauguin_-_Te_Tamari_no_Atua_%28Son_of_God%29.jpg Usr Boo-Boo Baroo
2 wikimedia commons : File:Paul_Gauguin_061.jpg Usr Eloquence

Vahine no te Tiare (Tahitienne avec une fleur), Paul Gauguin

Le texte du jour est extrait de la biographie de Gauguin par Charles Morice parue chez VisiMuZ Éditions.

Charles Morice cite à cet endroit un texte qu’il a co-écrit avec Gauguin (Noa-Noa) et donne la parole à Gauguin. Notre tableau du jour est lié à cette histoire.

Tahitienne avec une fleur, Paul Gauguin

Vahine no te Tiare (Tahitienne avec une fleur), 1891, 70,5 x 46,5 cm, Ny Carlsberg Glyptothek, Copenhague, catalogues raisonnés S243 W420.

Nous sommes en juillet ou août 1891. Gauguin vient d’arriver quelques semaines plus tôt à Tahiti.

« J’essayais de travailler : notes et croquis de toutes sortes. Mais le paysage, avec ses couleurs franches, violentes, m’éblouissait, m’aveuglait. J’étais toujours incertain, je cherchais, je cherchais… C’était si simple pourtant, de peindre comme je voyais, de mettre sans tant de calcul, un rouge près d’un bleu ! Dans les ruisseaux, au bord de la mer, des formes dorées m’enchantaient : pourquoi hésitais-je à faire couler sur ma toile toute cette joie de soleil ?

Ah ! Vieilles routines d’Europe ! Timidités d’expression de races dégénérées !

Pour m’initier au caractère si particulier d’un visage tahitien, je désirais depuis longtemps faire le portrait d’une de mes voisines, une jeune femme de pure extraction tahitienne. Un jour, elle s’enhardit jusqu’à venir voir dans ma case des photographies de tableaux[*]…/…

Pendant qu’elle examinait curieusement quelques compositions religieuses des primitifs italiens, je me hâtai, sans qu’elle me vit, d’esquisser son portrait.

Elle s’en aperçut, fit une moue fâchée, dit nettement :

Aïta (non) !

Et se sauva.

Une heure après, elle était revenue, vêtue d’une belle robe, le tiare à l’oreille. Coquetterie ? Le plaisir de céder, parce qu’on le veut, après avoir résisté ? Ou le simple attrait, universel, du fruit défendu, se le fût-on interdit soi-même ? Ou, plus simple encore, le caprice, sans autre mobile, le pur caprice dont les Maories sont si coutumières ?

Je me mis sans retard au travail, sans retard et avec fièvre. J’avais conscience que mon examen de peinture comportait une prise de possession physique et morale du modèle, comme une sollicitation tacite, pressante, irrésistible.

Elle était peu jolie, selon nos règles esthétiques.

Elle était belle.

Tous ses traits concertaient une harmonie raphaëllique par la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui sait mettre dans une seule ligne en mouvement toute la joie et toute la souffrance mêlées.
Je travaillais en hâte, me doutant bien que cette volonté n’était pas fixe, en hâte et passionnément. Je frémissais de lire dans ces grands yeux tant de choses : la peur et le désir de l’inconnu ; la mélancolie de l’amertume, expérimentée, qui est au fond du plaisir ; et le sentiment d’une maîtrise de soi, involontaire et souveraine. De tels êtres, s’ils se donnent, semblent nous céder : c’est à eux-mêmes qu’ils cèdent. En eux réside une force contenue de surhumaine, ou peut-être de divinement animale essence.

Maintenant, je travaillais plus librement, mieux… »

Lorsque le mythe s’en mêle, les prix s’envolent. Notre tableau avait été en fait précédé de l’esquisse ci-dessous, toujours en mains privées, et c’est d’elle dont parle Gauguin plus haut quand il écrit : «  Je travaillais en hâte. »

Tête de tahitienne (La Fleur qui écoute) Paul Gauguin

Tête de tahitienne (La Fleur qui écoute), 1891, hst, 29,7 x 26,2 cm, collection particulière, catalogues S242, W421

Bien que de très petite taille, mais à la fois peinte par un artiste à la réputation sulfureuse et précédée par son mythe, elle a été vendue chez Sotheby’s Londres le 25 juin 2008 pour 3 594 000 euros.

[*]. Les lignes manquantes de ce texte sont celles que nous avons citées lorsque nous avons raconté l’histoire d’Olympia, par Paul Gauguin, une publication précédente du fil Facebook de VisiMuZ. [↰]

17/12/2015

Photo 1 – wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Tahitian_Woman_with_a_Flower_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot
Photo 2 – Courtesy The Web Gallery of Impressionism

Le Moulin à Knokke, Camille Pissarro

Le Moulin à Knokke, Camille Pissarro

Le Moulin à Knokke, 1894, hst, 65 x 54,1 cm, Camille Pissarro, collection particulière

Camille Pissarro (1830-1903) a voyagé assez régulièrement, malgré son manque chronique d’argent. Mais ce père de famille nombreuse (il a eu 8 enfants) n’était jamais très loin quand ses enfants avaient besoin de lui. En 1894, il projette un voyage en Belgique à l’été 1894, où il doit d’une part retrouver Théo Van Rysselberghe afin de travailler avec lui et d’autre part aider son fils Félix (1874-1897) à s’installer à Bruxelles.

Mais l’actualité le rattrape. Suite au vote des lois sécuritaires dites « scélérates » par le gouvernement, le 24 juin 1894, un anarchiste italien du nom de Caserio assassine le président de la République Sadi Carnot à Lyon, rue de la Ré(publique) aux cris de « Vive l’Anarchie ». Le gouvernement vote alors des lois encore plus répressives, assigne à résidence les personnes fichées comme anarchistes, et expulse les étrangers.
Or Pissarro est de nationalité danoise (né à Saint-Thomas, il a gardé sa nationalité) et un sympathisant connu des anarchistes. Il est abonné au Père peinard et à La Révolte, deux journaux anarchistes. Son fils Ludovic-Rodolphe (1878-1952) publie également en cette même année 1894 ses premières gravures dans le Père Peinard.
Alors Camille craint de recevoir la visite de la maréchaussée. Il part plus vite que prévu, emmène Julie, sa femme, et Félix, leur fils. Ils rejoignent l’ami Théo et commencent par visiter Anvers, Bruges, Gand avant de s’établir pour plusieurs mois à Knokke-sur-mer, où la famille de Van Rysselberghe met à leur disposition une villa.

Pissarro écrit[*] le 30 juillet à Durand-Ruel, son marchand :

« Le hasard des choses m’a conduit à Knokke-sur-Mer, un petit trou tout neuf pour moi et gentil pour le peintre. J’ai commencé une série de choses qui vous plairont, je l’espère : des moulins, des toits rouges, des dunes […] D’un autre côté, je crains que comme étranger, ami de Mirbeau, Paul Adam, Fénéon, Luce, Bernard Lazare, je ne sois pour ce simple motif inquiété ou expulsé, il est donc bien possible que je sois amené à me fixer soit en Belgique soit en Angleterre. Si, par ce fait, je restais dans un de ces pays, pourrai-je compter sur votre concours pour m’aider à vivre, à travailler, comme vous l’avez fait jusqu’à ce jour ? »

Durand-Ruel, n’oubliant pas ses affaires, va lui répondre par retour « qu’il serait enchanté de continuer les bonnes relations avec [lui], seulement les affaires étant désastreuses, il faudrait baisser les prix ».

À Knokke, Pissarro va travailler assez dur pendant 3 mois. Il réalise diverses aquarelles et 14 toiles, dont certaines seront finies en atelier après leur retour à Éragny et jusqu’en 1902.

Nous avons commencé à essayer de localiser les toiles de Knokke. L’une est à Orsay (Église de Knokke), deux sont au Tel-Aviv Museum of Art (Le Vieux Moulin à Knokke, et La Maison rose, Knokke-sur-mer). Notre tableau du jour a été vendu à New York en 2007 (pour 1 million de dollars), un autre (Les Dunes de Knokke) a été vendu à Drouot en 2013, un troisième (Vue de Zevekote, Knokke-sur-Mer) est passé aussi en vente publique en 1992. Mentionnons encore une autre version des Dunes à Knokke (collection particulière), une toile intitulée Maisons à Knokke (collection particulière). Il en manque 6. Nous ne savons pas dans quelles collections elles se trouvent. Si vous avez des informations, n’hésitez pas à nous remonter celles-ci.

Notons toutefois que Pissarro n’a pas été tenté par la mer mais plus par l’intérieur des terres, la campagne et le village. D’un point de vue pictural, 1894 est aussi une année charnière pour le peintre. Il s’était rallié en 1886 au divisionnisme de Seurat. Après la mort de ce dernier en 1891, Pissarro va peu à peu reprendre sa liberté. Il s’est rendu compte que la méthode ne lui convenait pas totalement et réutilise une touche plus large.

[*]. Janine Bailly-Herzberg, Correspondance de Camille Pissarro, 3, 1891-1894, Paris, Éditions du Valhermeil, 1988.

14/12/2015

photo courtesy wikiart.org

Une place à l’ombre, Henri-Edmond Cross

Sea, sex and sun au Lavandou. Certains croient encore que le nudisme est né en 1964 à Saint-Tropez (« Do you, do you, do you Saint Tropez ! »)
Henri-Edmond Cross, Une place à l'ombre

Une place à l’ombre, 1902, Henri-Edmond Cross, collection particulière.

Mais en 1902 on ne s’ennuyait pas sur la Côte d’Azur. Ces jeunes femmes ne sont pas imaginaires ou virtuelles. Elles posaient bel et bien pour Henri Cross, sur la plage de Saint-Clair ou de Cavalière (Le Lavandou).

Cross, un des membres du néo-impressionnisme (ou divisionnisme, ou pointillisme) a continué longtemps après la mort de Seurat à peindre « au petit point » (comme disait Renoir). Mais dès 1900, sa palette s’enflamme et il va être l’un des inspirateurs de la génération suivante, les Fauves du salon de 1905 (Matisse, Marquet, Derain, Manguin, Camoin).

Cross, comme nombre de peintres est aussi vecteur d’un certain art de vivre.

Notre tableau du jour est imposant par ses dimensions (113,6 x 146 cm) qui augmentent aussi son pouvoir évocateur. Il a été une des vedettes (virtuelle, par sa projection sur les murs) de l’exposition sur la Méditerranée aux Carrières de lumière des Baux-de-Provence en 2013-2014.

Les paysages de Cross semblent toujours un peu idéalisés (images du jardin d’Eden, ou de l’Âge d’or de l’humanité). Si l’artiste en a totalement inventé les harmonies de couleurs, il a repris des motifs et cadrages existants de son quartier. Certains d’entre eux peuvent être encore retrouvés aujourd’hui (ce que nous avons fait avec délectation l’été dernier).

C’est après ses rencontres avec Cross que le jeune Matisse a peint La Joie de vivre ou encore Luxe, calme et volupté. Le premier prix Goncourt, un certain John-Antoine Nau, (1860-1918) a aussi guéri de la fièvre typhoïde en passant sa convalescence auprès de Cross (en 1897). 6 ans après, quand il est choisi pour le prix en 1903, il ne va pas à Paris, mais chez Cross au Lavandou.

De là à penser que Henri Cross était un catalyseur de bonheur, il n’y a qu’un pas que nous franchissons gaiement. Merci pour le plaisir que vous nous donnez, monsieur Cross, dont nous avons particulièrement besoin en ce moment !

20/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Dormeuse nue dans la clairière, Henri Cross

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• Dormeuse nue dans la clairière, 1907, 27,2 x 34,2 cm, Henri-Edmond Cross, musée de Grenoble.
Henri Cross (1856-1910) s’était installé au Lavandou dès 1891. Il y est mort jeune des suites d’un cancer et est enterré au Lavandou. Cross et Théo van Rysselberghe (voir notre publication de jeudi) étaient voisins à Saint-Clair. ils partageaient les mêmes modèles et les mêmes paysages. Mais chacun avait sa sensibilité et Cross est resté plus longtemps adepte du divisionnisme qui les avait réunis. À partir de 1900, il s’affranchit de la réalité pour ses couleurs. Coloriste imaginatif et puissant, il va influencer dès 1904 Henri Matisse, Albert Marquet, Charles Camoin et Jean Puy, qui lui rendent fréquemment visite. Le Fauvisme qui va éclater lui doit beaucoup. Ainsi la célèbre toile de Matisse, « Luxe, calme et volupté » (centre Pompidou) a été peinte à Saint-Tropez alors que Matisse s’y trouvait avec Cross et Signac.
Notre dormeuse du jour clôt notre série des bords de mer et des baigneuses. Il est temps pour nous de faire comme elle, d’aller nous reposer au soleil…
Nous vous remercions pour l’enthousiasme que vous nous montrez chaque jour et vous retrouverons le lundi 30 août, pour de nouvelles parutions. Bonnes vacances à toutes et tous !
N’oubliez pas de télécharger sur votre tablette au moins une monographie VisiMuZ
pour bronzer en compagnie de vos peintres préférés !
Pour les retrouver, cliquez ici

01/08/2015

Photo wikimedia commons Dormeuse_nue_dans_la_clairière,_Cross Usr Xaradnam

Baigneuses sous les pins, à Cavalière, Van Rysselberghe

 

30072015_Rysselberghe_Cavalière

Baigneuses sous les pins, à Cavalière, 1905, Théo van Rysselberghe, collection particulière.

En 1905, Théo van Rysselberghe (1862-1926) se fait construire par son frère architecte la villa « Le Pin » au Lavandou, près de la plage de Saint-Clair. Il rejoint ainsi ses amis néo-impressionnistes dans le Var. Depuis 1892, Cross habitait aussi au Lavandou et Signac à quelques kilomètres, à Saint-Tropez.
Le thème de prédilection de Théo devient alors les baigneuses en groupe, thème qu’il glorifiera jusqu’à sa mort. On reconnaît ici la plage de Cavalière avec au fond à droite le rocher devant le cap Nègre (juste au-dessus se trouve aujourd’hui la villa de madame Bruni-Tedeschi, qui y reçoit l’été sa fille Carla et son gendre…) et la silhouette caractéristique de l’île du Levant. Il est manifeste que la liberté avec laquelle évoluent ces jeunes femmes dans un paysage qu’elles habitent complètement nous semble aujourd’hui irréelle, entre parasols, crèmes à bronzer, et autres jet-skis.
Même si le divisionnisme de ses premières amours se perçoit encore, c’est d’abord par un dessin assez réaliste, une lumière puissante et des couleurs très claires que Théo van Rysselberghe ici nous envoûte joliment.

N.B. : la municipalité du Lavandou a mis en place depuis la maison de Théo un « chemin des peintres », pas très évident à trouver, mais qui permet de juxtaposer le paysage réel et des reproductions de tableaux de Van Rysselberghe et de Cross. Un joli et instructif but de promenade pendant les vacances.

30/07/2015

Dim 81.5 cm x 100.5 cm photo courtesy Athenaeum, rocsdad