Nature morte aux pommes et aux primevères, Paul Cézanne

Paul Cézanne - Nature morte aux pommes et aux primevères,

Nature morte aux pommes et aux primevères, ca 1890, hst, 73 x 92.4 cm, Paul Cézanne, Metropolitan Museum of Art, New York.

Cézanne ne voulait pas utiliser de fleurs fraîchement coupées dans ses natures mortes car son exigence de perfection lui faisait reprendre son sujet de nombreuses fois et les fleurs fanaient avant qu’il ait eu le temps de les peindre.

Il ne peignit des fleurs en pots que trois fois entre 1878 et 1906.

Les pommes sont par contre un motif récurrent liées à un souvenir d’enfance. Il avait défendu le jeune Émile Zola dans la cour de récréation du collège Bourbon à Aix. Il résulta de la bagarre gagnée par Cézanne une appellation : « Les deux inséparables ». Le lendemain, Émile apporta pour le remercier un panier de pommes à son défenseur. Paul dira beaucoup plus tard « Elles viennent de loin, les pommes de Cézanne ».

Notons aussi que le tableau du jour a appartenu un temps à Claude Monet.
Les deux amis sont restés proches jusqu’en 1886, année de parution de L’Œuvre, roman d’Émile Zola qui allait sceller leur rupture. On pensait jusqu’en 2013 que cette rupture avait été définitive à compter du 4 avril 1886 mais le passage aux enchères d’une lettre du 29 novembre 1887 de Paul à Émile a permis de montrer que cette rupture avait dû être plus progressive.

lettre à retrouver ici et biographie chez VisiMuZ de Cézanne par son ami Georges Rivière à retrouver là.

Photo wikimedia commons
File: WLA_metmuseum_Still_Life_with_Apples_and_a_Pot_of_Primroses_by_Cezanne Usr Kaldari

La Montagne Sainte Victoire vue depuis la carrière de Bibemus, Paul Cézanne

La Montagne Sainte Victoire vue depuis la carrière de Bibemus, Paul Cézanne

La Montagne Sainte Victoire vue depuis la carrière de Bibemus, 1897, huile sur toile, 65,1 x 81,3 cm, Paul Cézanne, Baltimore Museum of Art (Maryland)

La Montagne Sainte-Victoire n’est plus seulement le titre d’un tableau, c’est le titre d’une série, qui, pour parodier les séries TV, comporte un certain nombre de Saisons. Les tonalités changent, les points de vue changent, la technique change, seul le motif est identique.

L’artiste qui ne se sentait pas à l’aise ailleurs qu’à Aix-en-Provence a peint le motif près de 80 fois. Tous les grands musées du monde se doivent d’en avoir un exemplaire et on peut dire que c’est le cas. Orsay en a un vrai (donation Pellerin) et un faux (autrefois attribué à Cézanne), Le Metropolitan Museum of Art en a deux, de même que l’Ermitage.

Les carrières de Bibemus sont un site à l’est d’Aix-en-Provence où ont été extraites depuis l’époque romaine et jusqu’en 1885 les pierres qui ont servi à construire la ville. Quand Cézanne y loua un cabanon pour y travailler, entreposer son matériel et y dormir, les carrières n’étaient déjà plus en exploitation et il put y trouver la tranquillité qu’il souhaitait. À l’époque gallo-romaine Aix se nommait Aquae Sextiae, c’est-à-dire les eaux (les nombreuses sources de la ville) de Caïus Sextius, le consul romain fondateur de la ville en 122 av J.C. Le nom de Bibemus tourne alors au calembour (première personne du pluriel du futur du verbe « boire » : “Nous boirons”).

Comme d’habitude chez Cézanne, la perspective traditionnelle est ignorée. Les blocs rocheux du premier plan semblent proches de la montagne alors qu’ils en sont séparés par une vallée. La teinte orangée de la roche s’oppose au vert des arbres et aux bleus et gris pour donner plus de luminosité.

Pour l’anecdote, un roman policier intitulé La Carrière de Cézanne (“Cezanne’s Quarry”, Barbara Corrado Pope, 2008) met en scène un meurtre dans la carrière. Cézanne, le timide exalté, est-il le meurtrier ?

La vie de Cézanne à Aix et ses tableaux sont évidemment à retrouver dans sa biographie chez VisiMuZ.

25/05/2016

Photo wikimedia commons Mont_Sainte-Victoire_Seen_from_the_Bibemus _Quarry_1897_Paul_Cezzane Usr Krscal

Jeune fille à la poupée, Paul Cézanne

Jeune fille à la poupée, Paul Cézanne

Jeune fille à la poupée, ca 1902-04, hst, 73 x 60 cm, Paul Cézanne, collection particulière, catalogues O609 et V699.

La fin de la vie de Cézanne a été marquée par une très grande solitude volontaire. Il a vécu à Aix, au centre-ville, ayant vendu la grande maison du Jas de Bouffan. Son fils et sa femme se trouvaient à Paris. Seule la peinture l’intéressait.

À l’époque de notre tableau, il a 63 ans. Son diabète lui cause des ennuis. Il vient de faire construire en 1902, à la périphérie d’Aix, aux Lauves, un atelier auquel il se rend quotidiennement, sauf quand il va sur les bords de l’Arc pour peindre sur le « motif ». L’atelier comprend aussi une terrasse et un jardin.

Pour aller aux Lauves, il prend un fiacre ou va à pied, selon les jours. Il a la Sainte-Victoire sous les yeux, mais peint aussi des portraits comme ici cette Jeune fille à la poupée. Les couleurs en sont puissantes. La jeune fille porte un chapeau de paille et un sarrau bleu. On notera le contraste entre la verticalité de la pose de la fillette, l’oblique de la poupée et l’oblique parallèle du fond dont on ne sait trop ce qu’il représente. Il s’agit pourtant certainement des arbustes qui poussaient sur la pente de la colline.

Le traitement pictural montre bien la filiation entre Cézanne et les cubistes.

Cézanne n’a peint que deux Jeunes filles à la poupée. L’autre est présente dans la monographie de Cézanne parue chez VisiMuZ.

Les deux toiles ont été longtemps dans la collection de Heinz Berggruen (1914-2007), grand marchand qui a possédé de nombreux tableaux de Cézanne. Cette toile a été ensuite vendue à New York en 2001 (15 millions de dollars). Berggruen, d’une famille juive, s’était exilé aux États-Unis de 1936 à 1945, puis avait ouvert une galerie à Paris en 1947. Il est retourné en Allemagne en 1996. À sa mort, un musée Berggruen a été ouvert à Berlin. Il contient sa collection d’œuvres de Pablo Picasso, Paul Klee, Georges Braque, Henri Matisse et Alberto Giacometti.

05/03/2016

Photo wikimedia commons File:Paul_Cézanne_099.jpg Usr Eloquence

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), Paul Cézanne

Cézanne Mardi Gras

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), 1888, hsr, 102 x 81 cm, Paul Cézanne, musée Pouchkine, Moscou.

En 1888, Paul Cézanne a complètement construit son système, géométrique, statique, épuré de tout superflu. On doit y voir le volume, la structure, le poids, la couleur.. et rien d’autre. Son « Mardi Gras » en est la quintessence. Il l’a peint à Paris (et non à Aix, il était à Paris juste pour plaire à Hortense, Mme Cézanne, qui ne voulait pas aller en Provence).

Tous les fils spirituels de Paul s’en inspireront : de Picasso à Juan Gris, de Derain à Rouault. Cézanne a peint trois autres Arlequin dans ces années là, mais ce duo est unique. Les collectionneurs qui l’apprécient le savent : cette toile est un chef d’œuvre. Alors elle est achetée par le plus fan de ses admirateurs : Victor Choquet, celui qui parlait de Cézanne à tout le monde : son célèbre « Et Cézanne ? » intervenait dans toute discussion sur la peinture. À la mort de M. Choquet, après un passage chez Durand-Ruel, elle rejoint en 1904 la collection d’un des plus grands amateurs de peinture française : Sergueï Chtchoukine, pour sa maison-musée de Moscou.

Serge Ivanovitch Chtchoukine (1854-1936) était un industriel moscovite du textile, qui a débuté sa collection en 1894. Entre 1905 et 1911, Chtchoukine perd son frère, deux de ses quatre enfants, et sa femme. Fou de douleur, il se consacre totalement à sa collection. En 1914, sa collection comprend 258 tableaux (dont 50 Picasso, 4 Van Gogh, 13 Monet, 3 Renoir, 8 Cézanne, 16 Gauguin, 38 Matisse, 9 Marquet, 16 Derain). Il recevait le dimanche chez lui, et montrait sa collection à des amateurs d’art, des critiques et des artistes. En août 1918, il fuit la Russie, sa fortune convertie en diamants cachés dans la poupée de sa fillette Irina, et après un passage en Allemagne, se réfugie en France. En octobre 1918, Lénine déclare le palais et la collection de Chtchoukine propriétés du peuple. À ce jour, 84 tableaux de la collection Chtchoukine sont au musée Pouchkine de Moscou, où ils font le délice des visiteurs. 149 de ses tableaux sont aussi à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

À retrouver bien sûr ici : Tout Cézanne

12/02/2016

Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_-_Mardi_gras_(Pierot_et_Harlequin).jpg Usr Botaurus

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, 1889-90, Paul Cézanne, Cleveland Museum of Art (OH)

On sait que Paul Cézanne a partagé sa vie d’adulte pour un peu plus de moitié en Île-de-France et l’autre partie à Aix. Dans le Sud, certains motifs sont particulièrement connus  : L’Estaque, la Sainte-Victoire, Château-Noir, le Jas-de-Bouffan. Il a consacré également 8 toiles à Bellevue.

Bellevue, c’est le nom d’une bastide, construite au XVIIIe siècle, sur la colline de Valcros, près d’Aix-en-Provence. La sœur cadette de Paul, Rose, habitait avec son mari Maxime Conil, la bastide voisine de Montbriant. Et, à la mort de Louis-Auguste Cézanne, Rose a acheté Bellevue pour 38 000 francs avec sa part de l’héritage.

En 1889, la famille Renoir est venue passer l’été et l’automne à Bellevue. Renoir a loué le domaine à Rose et Maxime Conil. Les 2 amis se retrouvèrent alors. Cézanne et Renoir ont peint pendant toute cette période ensemble « sur le motif ».

Une autre version du Pigeonnier à Bellevue, peinte par Renoir se trouve à la fondation Barnes (à Philadelphie). Bellevue a connu une existence tourmentée. Squattée dix ans durant, très abimée, la maison forte a été rachetée en 1995 et entièrement restaurée. Bellevue fait maintenant partie des sites remarquables autour d’Aix, protégés parce que « cézanniens ».

L’année suivante, Paul commencera ses fameuses séries de portraits  :L’Homme à la pipe, Le Fumeur et les célébrissimes Joueurs de cartes.

Tous ces tableaux sont à retrouver (avec 220 autres) dans la biographie de Cézanne, chez VisiMuZ.

14/10/2015

Dim 64 x 80 cm
Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_041.jpg Usr Eloquence

10/09/2015 La baie de Marseille, vue de l’Estaque – Paul Cézanne

10092015 Estaque Cezanne Metropolitan

La baie de Marseille, vue de l’Estaque, ca 1885, Paul Cézanne, Metropolitan Museum of Art, New York.

Cézanne et l’Estaque, c’est une histoire d’amour, qui commence au milieu des années 1860 et se terminera définitivement au milieu des années 1890, du fait d’une urbanisation qu’il trouvait envahissante ainsi que de « l’invasion des bipèdes », c’est-à-dire les premiers estivants. Mais quand Cézanne a abandonné l’Estaque, une nouvelle génération l’a aussitôt remplacé. Les Fauves (Derain, Dufy, Braque, Friesz) vont venir y peindre dès 1906.

En dehors de ses escapades à la journée depuis Aix, Cézanne va aussi vivre à l’Estaque de septembre 1870 à mai 1871, à la fois pour cacher Hortense Fiquet à sa famille et échapper à la conscription. Il habitait dans une petite maison que sa mère possédait dans le bourg, et partageait son temps entre le travail dans la campagne, les escapades au Jas de Bouffan pour voir brièvement sa famille et la vie avec Hortense, qu’il avait installée à Marseille.

Un peu plus tard, dans une lettre du 2 juillet 1876 à Pissarro, Cézanne écrit à propos de l’Estaque : « C’est comme une carte à jouer : des toits rouges sur la mer bleue. Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouettes, non pas seulement en blanc et noir mais en bleu, en rouge, en violet. Je puis me tromper, mais il me semble que c’est l’antipode du modèle. »

En 1882 déjà, Cézanne commence à désespérer de l’Estaque. Renoir raconte : « Oh ! N’y allez pas ! se récria Cézanne, qui en revenait. L’Estaque n’existe plus ! On a mis des parapets ! Je ne peux pas voir ça. »

Notre tableau date des années 83-85. Dans l’arrière-plan, on distingue Marseille et Notre-Dame-de-la-Garde. Mais souvenons-nous que pour l’artiste, la réalité était accessoire et que son tableau devait d’abord confronter des surfaces et des volumes, comme ici la mer et le ciel d’une part, les toits du premier plan et les massifs montagneux des calanques au fond d’autre part.

Un tout petit aperçu de la monographie de Cézanne qui paraîtra le mois prochain chez VisiMuZ. Comme d’habitude, l’auteur en est un proche de l’artiste. Georges Rivière était l’autre grand-père des petits-enfants de Cézanne. Il a suivi ses amis Renoir et Cézanne dès le début de l’aventure impressionniste.

Dim : 73 x 100,3 cm
Photo VisiMuZ

Multiples ou uniques ? Les répliques des grands artistes

L’unicité de l’âme et de l’œuvre

L’œuvre artistique doit être unique

L’analyse des motivations des collectionneurs de tableaux et de sculptures met clairement en lumière la notion de singularité, d’unicité, de non-réplicabilité. On parle en latin d’unicum et en allemand d’Unikum. Dans la suite, comme le substantif n’existe pas en français, nous utiliserons le terme latin.
Une peinture est donc d’abord une œuvre unique de l’artiste. Côté sculptures, le marbre, réputé plus difficile à répliquer que le bronze a ainsi plus la faveur des collectionneurs de sculptures, et est dans tous les cas une œuvre originale. Pour le bronze, édité par moulage d’une autre pièce, la définition est plus conventionnelle. Un bronze est ainsi considéré comme œuvre originale (à défaut d’être unique) lorsque le « tirage [est] limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droits » (article 71 de l’Annexe III au Code général des impôts, décret du 10 juin 1967). Ceci a été amendé ensuite (article 98 A de l’Annexe III au Code général des impôts) en passant à douze exemplaires :
« – Parmi ces originaux, quatre appelés « Epreuves d’Artistes » doivent être numérotés EA I/IV, EA II/IV, EA III/IV, EA IV/IV en chiffres romains,
– Les 8 autres seront numérotés 1/8, 2/8 etc. en chiffres arabes. »

L’artiste créateur et démiurge

Le terme d’artiste ou plutôt d’artista a été inventé par Dante vers 1310 dans La Divine Comédie (chant XIII du Paradis). L’artiste est celui qui a à la fois la capacité intellectuelle de concevoir ce qu’il veut faire de la matière et l’habileté technique, celle de la main, pour incarner ce projet dans la matière, même si, nous dit Dante, il a « l’usage de l’art et la main qui tremble » (l’artista ch’a l’abito de l’arte ha man che trema). Il est intéressant de constater que ces vers de Dante interviennent dans un chant où il évoque la philosophie de saint Thomas d’Aquin, et le multiple et l’unique dans la création par Dieu des êtres avec leur infinie diversité.
Peindre ou sculpter une personne a longtemps relevé de l’atteinte à des pouvoirs réservés au Dieu créateur. Si dans l’antiquité cela ne posait pas de problème, l’iconoclasme chrétien a existé en 730 à Constantinople et il a fallu attendre le XXe siècle avec Chagall, Soutine, Kisling, etc. pour que les peintres juifs évoquent avec la main les âmes dans des portraits. On sait aussi malheureusement que ces croyances de la représentation en tant qu’« horreur impie » subsistent toujours et que les Bouddhas de Bâmiyân ont été totalement détruits par les talibans en 2001. Le portrait existait déjà dans le monde antique (monnaies et médailles, statues des empereurs romains, portraits du Fayoum) mais plus de mille ans vont s’écouler avant que le portrait profane renaisse. Renaissance italienne comme école du Nord vont alors, de manière différente, réaliser des portraits, c’est-à-dire « exprimer l’individualité intérieure de l’homme autant que sa position sociale » selon le mot de Bernard Berenson (in Esthétique et Histoire des arts visuels, 1953, p. 230). On notera que lorsqu’on parle peinture ou sculpture jusqu’au XVIIe siècle, le sujet est presque toujours relatif à la représentation humaine. Le paysage pur ne naîtra que plus tard, et la nature morte (qui n’a pas encore ce nom) est rare.

Le collectionneur s’approprie l’âme de l’artiste

L’artiste est créateur, le tableau ou la sculpture créée capture ainsi la personnalité du sujet dans son unicité, et l’objet créé est unique. Symétriquement, le commanditaire s’approprie le talent de l’artiste qu’il admire. Le commanditaire ou le collectionneur achète donc non seulement de la matière, mais un morceau unique de l’âme de l’artiste.

Et pourtant…

Les répliques aux XVe et XVIesiècle

Si l’on se tient à ce qui précède, le choix de l’unicité va empêcher l’artiste de répliquer son œuvre. Mais on constate dès le XVe siècle une propension des artistes à réaliser plusieurs versions de leurs œuvres. Ces versions peuvent être quasi-identiques ou présenter des différences significatives.
Leurs motivations tiennent à la fois à des considérations très terre-à-terre comme le fait de faire vivre sa famille, mais aussi au désir de plaire aux puissants de ce monde. Encore faut-il aussi distinguer entre l’artiste qui recrée une œuvre précédente, et celui qui fait exécuter par son atelier une copie de son œuvre, en la retouchant éventuellement pour qu’elle soit dite de sa main.
Lorsque plusieurs versions d’un même tableau existent et qu’un doute peut naître sur celui qui est l’original, il est possible depuis quelques années de lever ce doute. Sur un original, l’artiste peut changer la conception du tableau, changer son dessin, voire repeindre certaines parties. On parle alors de repentirs. La technique de la réflectographie infrarouge permet de révéler ces repentirs et les dessins préparatoires. Sur une réplique, les repentirs n’existent pas.

Europe du Nord

Van der Weyden réalise Saint Luc dessinant la Vierge entre 1435 et 1440 pour la Guilde de Saint-Luc de Bruxelles. Mais quatre versions sont disséminés dans les grands musées. On sait maintenant que le tableau de Boston est l’original. Les spécialistes débattent toujours pour savoir si les autres versions sont des répliques ou des copies d’atelier.

À gauche Museum of Fine Arts Boston, puis Alte Pinacotek Munich, et en-dessous musée de Groningue et Ermitage Saint-Pétersbourg

VanderWeyden_SaintLuc_Quatre
Rogier van der Weyden – les quatre Saint-Luc dessinant la Vierge

On ne peut plus réellement parler de réplique mais la composition est très similaire chez Robert Campin dans sa Vierge à l’Enfant à la cheminée (musée de l’Ermitage) et sa Vierge à l’Enfant dans un intérieur (National Gallery Londres).
On connaît de Cranach des versions nombreuses de Vénus et Cupidon ou de Vénus à la source. Le procédé est alors devenu purement commercial.

Renaissance italienne

En Italie, Léonard a initié le mouvement avec ses deux Vierge aux rochers (Louvre, National Gallery), pour des raisons essentiellement juridiques, son commanditaire n’étant pas satisfait du résultat de la première version.
C’est Titien qui va donner le ton quarante ans plus tard, avec la Femme à la fourrure (Ermitage, Kunsthistorisches Museum), Vénus et Adonis (original perdu, répliques au Prado, Metropolitan, NGA Washington, Getty museum), Madeleine repentante nue ou vêtue, mais surtout avec ses Danaë. La première est celle de Naples suivies par celles du Prado, de l’Ermitage et enfin celle de Vienne. Peint pour Ottavio ou Alessandro Farnese (petits-fils de Paul III), cette Danaë symbolise le début d’une nouvelle période stylistique pour le Titien, la touche est plus libre, la couleur devient plus importante que le dessin. La composition sera reprise en 1553-54 pour Philippe II d’Espagne, une servante laide remplaçant Cupidon, puis au moins à quatre autres reprises : les versions connues à ce jour sont donc à Capodimonte (Naples), au Prado, à l’Ermitage, et au Kunsthistrosches Museum de Vienne (de gauche à droite et de haut en bas). Le visage de Danaë serait celui d’Angela, courtisane romaine dont le cardinal Alexandre Farnese était amoureux fou en 1546.

Titien_Danae_quatre
Titien – Les quatre Danaë

Dans le cas de Titien, il s’agissait à la fois d’une réutilisation de sa composition pour diminuer le temps passé (eh oui, déjà !) mais aussi de mettre sur un pied d’égalité ses différents commanditaires. Philippe II, roi d’Espagne ne pouvait être moins bien servi que son neveu et vassal Alexandre Farnese, et un autre neveu de Philippe II, Rodolphe II va acquérir la version de Vienne en 1601.
Arcimboldo se verra de même commander une réplique de sa série des Saisons (Kunsthistorisches Vienne), offerte par l’empereur du Saint-Empire Maximilien II à l’électeur Auguste de Saxe (aujourd’hui au Louvre).

Les répliques aux siècles suivants

Ce phénomène de la réplique comme cadeau se poursuivra avec les portraits des puissants au XVIIe siècle. On peut citer par exemple le Portrait du cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne (Louvre, National Gallery).
Toute autre est la motivation d’un Caravage. La Diseuse de bonne aventure est commandée par Prospero Orsi (1594, Louvre). Elle suscite un tel engouement que le cardinal Francesco Maria Del Monte en commande une réplique (1595, Rome, musée du Capitole) et comme le peintre a du mal à subsister, il accepte la commande. Le même phénomène se reproduit avec Les Joueurs de luth (Ermitage et collection Wildenstein, parfois exposé au Metropolitan). Il touche aussi d’autres caravagesques (Artemisia Gentileschi,etc.).
On peut s’étonner de la même façon de trouver au hasard des visites plusieurs Watteau au même titre. L’Embarquement pour Cythère est son morceau de maîtrise (aujourd’hui au Louvre) mais il a exécuté une autre version, à la demande du roi de Prusse Frédéric II (château de Charlottenburg, Berlin).
Plus tard sous le Directoire, Joséphine, après avoir demandé à son mari de poser pour le peintre Gros pour le premier Bonaparte au pont d’Arcole, a commandé deux répliques pour ses enfants Eugène et Hortense. C’était aussi pour elle un moyen de mieux ancrer sa famille dans le premier cercle du futur empereur. L’un des portraits est maintenant à l’Ermitage, l’autre au château d’Arenenberg en Suisse. Nous avons raconté cette fascinante histoire sur le blog (Bonaparte au pont d’Arcole : ici)
La photographie va mettre à mal la notion d’unicum dans la deuxième partie du XIXe siècle, mais l’art de la peinture ne va pas en souffrir.
La réplique ne doit pas être confondue avec la série. Quand Monet peint la cathédrale de Rouen à différentes heures de la journée, il cherche à capter la lumière, et non à répliquer un tableau. La démarche a laissé au final trente tableaux tous différents.
Van Gogh a également pratiqué beaucoup la réplique d’un sujet, mais pour des raisons liées à sa pauvreté et à la difficulté de trouver des sujets différents. La famille Roulin en particulier a fait l’objet de nombreux tableaux, souvent presque identiques. Il a ainsi peint six versions du Portrait de Joseph Roulin. Une exposition a été organisée à la Phillips Collection de Washington du 12 octobre 2013 au 26 janvier 2014 pour comparer et apprécier in situ. ( Van Gogh Repetitions – Phillips Collection )
De même, Cézanne a peint de nombreuses Baigneuses ou Montagne sainte-Victoire. Mais c’est leur nombre cette fois qui les empêche d’être parfaitement identifiées et individualisées. Seuls les trois Grandes Baigneuses (ci-dessous Barnes Foundation Philadelphie, Musée de Philadelphie et National Gallery Londres) ou encore les cinq Joueurs de cartes (Barnes Foundation Philadelphie, Metropolitan, Orsay, Courtault Institute, collection privée de l’émir du Qatar) ont accédé au statut d’icône universelle.

Cezanne_Grandes_Baigneuses_trois
Paul Cézanne : les trois Grandes Baigneuses

Le cas de la sculpture est plus compliqué puisque, on l’a vu plus haut, huit bronzes peuvent être appelés originaux. Les Bourgeois de Calais de Rodin peuvent être vus à Saint-Pétersbourg, Copenhague, Paris, Bâle, Phildelphie, etc. Parfois le marché se mêle aussi du processus. Il ne s’agit plus du tout de répliques mais de copies. On peut ainsi sourire de la multiplicité des Petite danseuse de quatorze ans d’Edgar Degas. Seule l’une d’elles est originale. Elle est en cire et à la National Gallery de Washington. Les vingt-neuf autres ne sont que des copies, fondues en 1922 après la mort de l’artiste. Aussi il n’est pas rare de retrouver la Petite Danseuse d’un musée à l’autre (Metropolitan, Orsay, Tate Britain, Philadelphie, Ny Carlsberg Copenhague, etc.) ce qui a grandement contribué à sa célébrité, mais aucune de celles que nous avons pu voir dans les différents musées n’est signalée comme copie.

Degas_petite_danseuse_deux
La Petite danseuse à New York et Copenhague (entre autres). Œuvre de Degas ou simple copie ?

Au XXe siècle, le problème continue à se compliquer lorsque de l’œuvre on passe à l’installation. Que penser de Warhol et de ses innombrables Marilyn ou des Wall Drawings de Sol Lewitt qui ne sont plus réellement des œuvres uniques mais des installations ?

Les quelques lignes ci-dessus ne sont en aucun cas une étude exhaustive, mais juste une illustration de quelques-unes des motivations autour des répliques réalisées par les artistes eux-mêmes. Nous avons évoqué dans les guides parus ou sur la page Facebook de VisiMuZ les cas de Pannini, de Guido Reni (Atalante et Hippomène), de David Teniers, de Jan Brueghel de Velours, de Pieter Bruegel l’Ancien et Pieter Brughel le Jeune, de Rembrandt, de Rubens, etc. Ces pratiques diminuent-elles l’admiration que l’on peut porter à l’œuvre ? La plupart du temps ce n’est pas le cas. Toutefois, il existe des cas comme celui de Degas ci-dessus où l’on ne peut plus se contenter de montrer. On se doit d’expliquer l’histoire qui a créé cette situation. C’est ce que nous faisons dans les guides.

Les multiples et les musées

Vous savez que chez VisiMuZ, nous nous intéressons à la pratique des répliques d’artistes. Chaque fois que nous avons connaissance de ce phénomène (et c’est souvent), nous vous indiquons pour ces œuvres les autres versions et où on peut les voir, ainsi que les histoires, toujours intéressantes, sur les rapports entre commanditaires et artistes, autour de ces versions. Mais il n’est pas sans signification de constater que les musées n’indiquent pratiquement jamais que le tableau que nous avons sous les yeux n’est pas un unicum. Chaque musée s’approprie un peu de la gloire du peintre et ne veut pas signaler qu’il s’agit d’une réplique, et encore moins où on peut voir les autres versions. Enfin, il est à noter que les anglo-saxons ne font toujours pas la distinction entre répliques et copies, et nomment repetitions ou copies les versions postérieures à la version originale.

Crédits photographiques

Rogier van der Weyden
Boston http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Weyden_madonna_1440.jpg?uselang=fr User : Eugene a Licence : CC-PD-Mark
Munich http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Weyden-MadonnaLucca-Munic.jpg?uselang=fr User : Amadalvarez Licence : CC-PD-Mark
Groeninge http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Weyden-MadonnaLucca-Groeninge.jpg?uselang=fr User : Amadalvarez Licence : CC-PD-Mark
Ermitage http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rogier_van_der_Weyden_-_St_Luke_Drawing_a_Portrait_of_the_Madonna_-_WGA25583.jpg?uselang=fr User : JarektUploadBot Licence : CC-PD-Mark
Titien
Capodimonte http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tizian_011.jpg?uselang=fr User : Eugene a Licence : CC-PD-Mark
Prado http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tizian_012.jpg?uselang=fr User: Escarlati Licence : CC-PD-Mark
Ermitage http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Titian_-_Danae_%28Hermitage_Version%29.jpg?uselang=fr
Vienne : VisiMuZ
Cézanne
Barnes Foundation http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_Cezanne_Les_grandes_baigneuses.jpg?uselang=fr User : Ribberlin Licence : CC-PD-Mark
Philadelphie Museum: http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_C%C3%A9zanne_047.jpg
Barnes Foundation, Phildelphie User : Eloquence Licence : CC-PD-Mark

National Gallery, Londres http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_C%C3%A9zanne_-_Bathers_%28Les_Grandes_Baigneuses%29_-_Google_Art_Project.jpg?uselang=fr User DcoetzeeBot Licence : CC-PD-Mark
Degas
Metropolitan et Copenhague : VisiMuZ

Un tableau de Cézanne à identifier ! Bonne chasse !

En 1896, Paul Cézanne, peut-être lassé de ses joueurs de cartes et de ses montagnes Saint-Victoire, va peindre ce tableau. Est-ce un paysage réel, ou un cadre imaginé par l’artiste ? Si le peintre prend quelques libertés avec la réalité, le paysage réel existe bien. L’avez-vous reconnu ? Savez-vous dans quel musée se trouve ce tableau ? La première bonne réponse (aux deux questions) gagne un guide VisiMuZ de l’Ermitage pour son iPad. Pour la question 1, il faut une réponse très précise.

aaa_CEZ01_5986

En plus, vous avez droit à un indice. Ce tableau n’est pas à Saint-Pétersbourg.

Bonne chasse ! Et au plaisir de vous lire bientôt !


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