Portrait(s) du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 67 x 56 cm, Vincent van Gogh, collection particulière Ryoei Saito ?, Tokyo.

Portrait du Dr Gachet v2, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 68,2 x 57 cm, Vincent van Gogh, musée d’Orsay

Cet article est une réalité virtuelle. Jamais, dans le monde réel, ces deux portraits n’ont pu être accrochés l’un à côté de l’autre.

Le docteur Gachet a suivi Vincent pendant les quelques mois qu’il a passés à Auvers. La pose du médecin est mélancolique. Est-ce un aveu d’impuissance par rapport à son patient, quelques semaines avant sa mort ? Paul Gachet tient dans la main une branche de digitale pourpre, plante dont est tirée la digitaline, un médicament. Elle identifie donc le personnage en tant que médecin.

Le premier tableau est l’original. Il est dit aussi « aux livres ». Vincent en parle dans une lettre, ornée d’un croquis, du 3 juin 1890 à Théo : « Je travaille à son portrait la tête avec une casquette blanche très blonde très claire les mains aussi à carnation claire un frac bleu et un fond bleu cobalt appuyé sur une table rouge sur laquelle un livre jaune et une plante de digitale à fleurs pourpres …/… M. Gachet est absolument fanatique pour ce portrait et veut que j’en fasse un de lui si je peux absolument comme cela ce que je désire faire aussi. »

Notre tableau a gagné un surcroit de notoriété le 15 mai 1990 à New York. Mis en vente chez Christie’s, il a fait l’objet d’une bataille d’enchères et d’egos pour atteindre le prix fabuleux de 75 millons, soit 82.5 millions de dollars avec les frais. Il partira alors pour Tokyo et restera le tableau le plus cher du monde jusqu’en 2012 (date à laquelle un Cézanne le remplacera et depuis les records ont été battus deux fois en 2015, par Picasso pour les ventes publiques et le Gauguin de Bâle pour les ventes de gré à gré). De 1961 à 1984, on a pu voir cette toile au Metropolitan Museum auquel il avait été prêté.

Depuis 20 ans, c'est dire depuis la mort de Ryoei Saito en 1996, on ne sait plus où se trouve le tableau. Est-il dans les coffres d’une banque japonaise, créancière de Monsieur Saito ?

Mais l’histoire extraordinaire de la toile a commencé très tôt. Vendue par Jo, la veuve de Théo, en 1897 à Vollard pour 250 francs, elle est acquise finalement en 1911 par le Städel Museum à Francfort. Quand une œuvre entre dans un musée, le plus souvent, elle y reste.

Mais… en 1933 les nazis le décrochent. C’est pour eux de l’ « art dégénéré ». Hermann Goering s’en empare et le vend à une galerie d’Amsterdam. Il a été ensuite acheté par Siegfried Kramarsky, financier new-yorkais né en Allemagne, et conservée dans sa famille jusqu’à la vente de 1990.

Le tableau du musée d’Orsay est une réplique du précédent. La pose est approximativement la même mais les couleurs et la touche très différentes. Il est (heureusement) connu par une photo du galeriste Druet, qui avait pris une photo volée au salon des Indépendants en 1905.

Comme Vincent n’avait pas commenté cette réplique (ou qu'une lettre a été perdue), certains avaient mis en doute l’authenticité de cette toile. Mais la réalité est plus simple. L’original était destiné à Théo pour la vente. Et comme Gachet voulait le garder, il en a demandé une réplique à Vincent. Comment Vincent aurait-il pu dire non alors qu’il l’avait fait dans d’autres cas ? Mme Roulin par exemple ! Le Dr Gachet fils appelait ce portrait le « duplicatum ». La réplique est un peu moins fouillée, peut-être Vincent a-t-il voulu aussi simplifier pour obtenir plus de force expressive !

L’histoire ensuite est beaucoup plus classique, de Paul Gachet fils au musée du Louvre en 1949, et maintenant au musée d’Orsay.

Retrouvez les tableaux peints à Auvers et tous les autres, ainsi que la vie de Vincent dans la monographie publiée par VisiMuZ, ICI.


10/01/2016

Photo 1 wikimedia commons Van_Gogh_-_Bildnis_Doktor_Gachet Usr Mefusbren69
Photo 2 wikimedia commons File:Vincent_van_Gogh_-_Dr_Paul_Gachet_-_Google_Art_Project.jpg Usr Paris 16

Jeanne Hébuterne, Amedeo Modigliani

Jeanne Hébuterne, Amedeo Modigliani

Jeanne Hébuterne, 1919, hst, 91,4 x 73 cm, Amedeo Modigliani, Metropolitan Museum of Art, New York, catalogue Ceroni n° 326.

Nous sommes en mars 1917. Sur le front, la guerre s’enlise au fond de tranchées boueuses, mais à Paris, on fête le carnaval. Après avoir habité à Montparnasse, Amedeo vit maintenant à Montmartre (place Émile-Goudeau) et s’est costumé pour la fête en Pierrot. Ce soir-là une amie sculptrice, Chana Orloff, présente à Amedeo une amie à elle, une très jeune femme – elle a 19 ans – costumée. Elle porte un poncho et des bottes. Elle a dessiné, peint et cousu son déguisement elle-même.

Elle s’appelle Jeanne Hébuterne et est étudiante à l’académie Colarossi dans le 6e arrondissement, là même où Modi s’était inscrit à son arrivée à Paris en 1906. La beauté de Jeanne ne passe pas inaperçue. Son teint très pâle, contrastant avec sa chevelure auburn, lui a valu le surnom de « Noix-de-coco ».

C’est le coup de foudre, la nuit est longue et ils décident très vite de vivre ensemble. Modi va alors changer de rive, quitter Montmartre et retourner à Montparnasse. Ils emménagent au 8, rue de la Grande Chaumière (l’académie Colarossi est au 10, dans la même rue). Modi a rencontré l’amour fou mais sa santé ne s’améliore pas. La tuberculose s’est déclarée et le médecin va l’envoyer dans le midi au début de 1918. Une petite Jeanne (1918-1984) naîtra le 29 novembre 1918 à Nice

Le peintre rentre à Paris le 31 mai 1919. Les deux Jeanne le rejoindront en juin. Modigliani a son atelier rue de la Grande Chaumière. Tout près se trouvent son marchand Léopold Zborowski et son ami Moïse Kisling (rue Joseph-Bara).

À son retour à Paris , il reste à Modi un peu plus de sept mois à vivre pendant lesquels il va peindre une quarantaine de toiles. Il se restreint alors aux gens qu’il aime et à ses amis : Léopold Zborowski (2 fois) et sa femme Hanka Zborowska (4 fois), leur amie Lunia Czechowska (6 fois), sa petite voisine Paulette Jourdain (1 fois), et puis Jeanne, encore et toujours.

En juillet, il signe devant témoin une promesse de mariage, qu’il n’aura pas le temps et le loisir d’honorer.

« Je m’engage aujourd’hui, 7 juillet 1919, à épouser Mademoiselle Jeanne Hébuterne, aussitôt les papiers arrivés. ».
Signé : Amédée Modigliani, Léopold Zborowski, Jeanne Hébuterne, Lunia Czechowska.
Daté : 7 juillet 1919

Pendant ces quelques mois, Modi va réaliser au moins 12 portraits de Jeanne dont notre tableau du jour. Sa blouse évasée cache un petit ventre arrondi. Jeanne est alors enceinte de leur 2e enfant. Sa vie s’arrêtera juste après celle de Modigliani, le 25 janvier 1920. Elle avait 21 ans.

Jeanne n’était pas que « la femme de ». Elle était une artiste en devenir et il nous reste une douzaine d’œuvres de sa main dont cet autoportrait. Sa dernière localisation connue était la collection Oscar Ghez (musée du Petit-Palais, Genève, fermé).

Autoportrait, Jeanne Hébuterne

Autoportrait, ca 1916-1917, huile sur carton, 50 x 33,5 cm, Jeanne Hébuterne.

Signalons pour finir qu’une exposition « Amedeo Modigliani, l’œil intérieur » aura lieu bientôt à partir du 27 février 2016, au LAM à Villeneuve d’Asq.

08/01/2016

Photo 1 VisiMuZ
Photo 2 wikimedia commons File:Jeanne_Hébuterne_-_Autoportrait.jpg

Jour de pluie, Boston, Childe Hassam

Jour de pluie, Boston, Childe Hassam

Jour de pluie, Boston, 1885, hst, 66,2 x 122 cm , Childe Hassam, Toledo Museum of Art, Toledo (OH)

En cette année 1885, Childe Hassam (1859-1935) habitait à Boston avec sa jeune femme Kathleen Maud. Il habitait au 282, Colombus Avenue, au sud de la ville. Il aimait le côté urbain du quartier, à l’époque très nouveau aux États-Unis. « La route était entièrement recouverte d’asphalte, et je pensais souvent qu’elle était jolie lorsqu’elle était mouillée et luisante, qu’elle reflétait les passants et les véhicules de passage. » a-t-il alors déclaré.

Le reflet des briques et du ciel sur l’eau donne une teinte rosée à toute la scène. Le peintre arrive également à mettre de l’humidité dans l’air et la pluie trouble l’atmosphère (par exemple dans les personnages du second plan). À cette époque, Hassam n’est pas encore le leader de l’impressionnisme américain qu’il va devenir, qui va saturer ses toiles de lumières et de contrastes. La touche ici est aussi plus classique, proche des réalistes. Bien évidemment, la critique bostonienne a violemment critiqué ce tableau lors de sa présentation, la soi-disant banalité du sujet empêchant que cette peinture soit de l’art.

Deux ans auparavant, Hassam a séjourné en France et il a eu le temps de voir et d’apprécier le nouveau Paris créé par le baron Haussmann, avec ses perspectives urbaines dont la municipalité de Boston s’est aussi inspirée. Mais il nous paraît vraisemblable que l’idée de la composition lui est venue d’un autre tableau, celui-là par Gustave Caillebotte.

Rue de Paris, temps de pluie avait été présenté à la 3e exposition impressionniste en avril 1877. Sans avoir de certitude, il nous paraît vraisemblable que Childe Hassam l’ait vu durant son séjour à Paris.

Rue de Paris, temps de pluie, Gustave Caillebotte

Rue de Paris, temps de pluie, 1877, hst, 212,2 x 276,2 cm, Gustave Caillebotte, Art Institute de Chicago, Chicago (IL)

La présence dans les deux tableaux des lampadaires à gaz ancre les compositions dans la modernité. De même, dans les deux cas, la répétition de bâtiments identiques introduit un rythme particulier. Comme chez Caillebotte, le cadrage chez Hassam est asymétrique, une audace qui rompt avec le parallélisme classique, mais la scène apparaît moins figée chez Hassam que chez Caillebotte. Le trait moins net, moins « ligne claire » chez Hassam fait que ce dernier nous apparaît plus classique et moins révolutionnaire que Caillebotte. Mais le charme de notre tableau du jour tient aussi aux reflets nacrés de l’asphalte.

Si le tableau de Caillebotte est immense, invitant le spectateur à se confronter avec des personnages de même taille que lui, le cadrage chez Hassam est également très particulier, introduisant une vision panoramique, très loin des canons de l’époque pour la peinture de paysage (une toile P50 mesurerait 81 x 116 cm alors que nous sommes ici à 66 x 122 cm).

Childe Hassam, amoureux de Paris, va y retourner dès l’année suivante pour y vivre 3 ans.

06/01/2015

photos wikimedia commons

1 – Gustave_Caillebotte_-_Paris_Street;_Rainy_Day_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot
2 – Childe_Hassam_-_Rainy_Day,_Boston_-_Google_Art_Project.jpg Usr INeverCry

Neige tombant dans l’allée, Edvard Munch

Neige tombant dans l'allée, Edvard Munch

Neige tombant dans l’allée, 1906-08, hst, 80 x 100 cm, musée Munch, Oslo.

Notre tableau du jour correspond à une époque complexe dans la vie de Munch. Comme peintre, il est célèbre, il a été à la source de différents scandales dans la décennie précédente, comme à Berlin le 5 novembre 1892, puis a été célébré à l’aube du siècle un peu partout en Europe. Mais sa vie personnelle a été terrible. Nous en avions parlé ici. Ce tableau a-t-il été terminé avant ou après son séjour de huit mois en 1908 dans une clinique à Copenhague pour dépression et hallucinations ?

En tout cas, aucune faiblesse ne transparaît dans cette toile à la composition intemporelle. Les personnages (des enfants  ?) au premier plan sortent du cadre, une attitude qui renforce la dynamique de la scène et invite le spectateur à entrer dans le tableau.

Vous souvenez-vous du tableau de Ferdinand Hodler : La Route d’Évordes, que nous avons publié en novembre (ici) ? Entre 1890 (date du tableau de Hodler), et 1906-1908 (date de notre tableau du jour), les mouvements se sont succédés sans arrêt. Entre les Nabis, les symbolistes, l’expressionnisme, les Sécessions berlinoise, munichoise et viennoise, puis Die Brücke et Les Fauves français, l’approche du tableau a évolué dans de nombreuses directions. Mais il existe des invariants en peinture, et en particulier la composition reprenant une route qui disparaît au loin. Elle est un grand classique depuis le XVIIe siècle, comme nous l’avons vu avec le tableau de Hodler et la référence à Meindert Hobbema (ici).

04/01/2016

photo Courtesy The Athenaeum, Irene.

Avec tous nos vœux pour 2016 !

Voeux 2016
Chères lectrices, chers lecteurs,

NOUS VOUS SOUHAITONS UNE EXCELLENTE ANNÉE 2016 !

Nous ferons de notre côté le maximum pour vous apporter du plaisir avec les plus beaux tableaux et leur histoire, en profitant des atouts du numérique, sur notre site et dans nos collections d’e-books Beaux-Arts.

À très bientôt pour de nouvelles aventures !

La Modiste, Mlle Margouin, Henri de Toulouse-Lautrec

<i>La Modiste, M<sup>lle</sup> Margouin</i>, Toulouse-Lautrec

La Modiste, Mlle Margouin, 1900, hsp, 61 x 49,3 cm Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi

Le tableau du jour nous renvoie à un imaginaire d’une richesse exceptionnelle.

L’environnement

Le Paris de la Belle Époque est celui de l’élégance et de la mode. Pour habiller ces dames, les boutiques de modes sont indispensables. On n’en compte pas moins de 2400 dans Paris à l’orée du XXe siècle.

La vie de Lautrec

En 1899, Lautrec a été interné dans la clinique du docteur Sémelaigne à Neuilly de la fin février au 17 (ou avant le 20) mai pour alcoolisme. Une fois sorti, il est toujours accompagné de l’amiral Viaud chargé de l’empêcher de boire. Ses amis cherchent aussi à le distraire pour le faire penser à autre chose. Ils l’entraînent dans les maisons de couture autour de la rue de la Paix.

Le modèle

L’une de ces maisons de couture est tenue par Renée Vert, la maîtresse du peintre et graveur Adolphe Albert. La modiste ici représentée serait Louise Blouet, dite d’Enguin, employée et mannequin chez Renée Vert (d’après les témoignages d’époque de Maurice Joyant entre autres). Sa chevelure rousse a été certainement pour beaucoup dans le choix de Lautrec de son modèle. Le peintre depuis les années 80 ne conçoit ses modèles féminins que roux.

Le tableau est souvent également appelé Mlle Margouin, un margouin étant à cette époque un mannequin en argot.

La composition et le tableau

Le moins que l’on puisse dire est que le thème de la modiste a eu beaucoup de succès en peinture entre 1880 et 1914. On peut rapprocher notre tableau de Chez la modiste par Renoir en 1878 (Fogg Art Museum, Harvard), par Manet en 1881 (San Francisco), par Paul Signac en 1885 (fondation Bührle, Zurich), de nombreux tableaux d’un Degas qui impliquait souvent Mary Cassatt dans ses compositions (par exemple Chicago, Met, MoMA, SLAM, etc..), d’une modiste d’Éva Gonzalès en 1877 (Chicago), de Félix Vallotton en 1894. Le début XXe siècle ne sera pas en reste avec Macke, Kirchner ou encore Picasso.

Pourtant, Lautrec, qui avait si souvent défrayé la chronique, nous donne ici un tableau extrêmement classique, un chef d’œuvre de clair-obscur que n’aurait pas renié Rembrandt. Mais il n’a pas oublié les leçons de la théorie des couleurs et, pour accentuer la lumière, baigne la chevelure rousse et les tons chauds du bois dans une débauche de vert. Mlle Blouet est représentée de profil, les chapeaux faisant comme l’ombre de sa tête et sa coiffure.

Louise a inspiré à Lautrec l’un de ses dernières passions. Hors de sa présence, il l’appelait Croquesi-Margouin. « Croquez-y » lui conseillaient ses amis. Pour réaliser son tableau, il a utilisé un panneau de bois, loin du carton dont il usait le plus souvent.

Et comme souvent, il transforme ici ce qui n’était au départ qu’un portrait individuel en une célébration plus universelle de la féminité et de l’élégance.

Le musée Toulouse-Lautrec, à qui le tableau a été légué par Maurice Joyant, donne une explication beaucoup plus politiquement correcte. Croquesi viendrait selon le musée de croquer, esquisser. Hmm ! Vous y croyez, vous ?

30/12/2015

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

La Baigneuse blonde, Pierre Auguste Renoir

La Baigneuse blonde, Auguste Renoir

La Baigneuse blonde, 1882, Pierre Auguste Renoir, Pinacoteca Agnelli, Turin.

En 1881, Renoir voyage. Il a commencé deux ans avant avec l’Algérie, puis l’année suivante à Guernesey, avant de partir avec sa compagne Aline Charigot pour l’Italie. Ils annoncèrent à cette occasion à leurs deux familles qu’ils s’étaient mariés alors qu’il ne le feront que… neuf ans plus tard. Aline a posé à Capri et le tableau originel est maintenant dans la collection du Clark Institute (près de Boston). Renoir avait réalisé en rentrant à Paris une réplique, qu’il vendit à Gaston Gallimard, et qui arriva beaucoup plus tard dans la collection de Giovanni et Marella Agnelli.

Aline est ici dans toute la flamboyance de ses 22 ans, son compagnon en a 41. Renoir vient d’aller voir les vénitiens, les florentins et les romains. Sa manière en est toute perturbée et il va donner une plus grande importance au dessin dans les années à venir (manière « ingresque » ou « aigre »), en tout cas pour les premiers plans. La réplique diffère de l’original par le traitement du fond qui devient ici une ébauche de paysage, au service d’une débauche de couleur.

Il est plus facile d’aller voir ce tableau à Turin qu’à Williamstown. La Pinacothèque Agnelli est un endroit incroyable dans les étages supérieurs d’une ancienne usine Fiat (le Lingotto) et surtout au-dessus d’un centre commercial. Et avant ou après le shopping, il suffit de prendre un ascenseur pour se retrouver avec Renoir(entre autres).

Quelques compléments sur la Pinacoteca Agnelli sur le blog VisiMuZ ICI

Pour en savoir plus sur Renoir et retrouver les tableaux qu’il a peints à cette époque, retrouvez sa biographie par Ambroise Vollard avec 200 reproductions,ICI.

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28/12/2015

Photo wikimedia commons Renoir_-_La_baigneuse_blonde.jpg Usr Rlbberlin

Réunion de famille en juillet au verger, Théo van Rysselberghe

Réunion de famille en juillet au verger, Théo van Rysselberghe

Réunion de famille en juillet au verger, 1890, hst, 115,5 x 163,5 cm, Théo van Rysselberghe, musée Kröller-Müller, Otterloo

Lorsque Georges Seurat établit en 1883-84 les principes du divisionnisme, il est bientôt rejoint par Signac, Cross et en Belgique Théo van Rysselberghe (1862-1926). Il importe cette technique en Belgique après avoir vu Un après-midi sur l’île de la Grande-Jatte (Seurat, Art Institute of Chicago), à Paris en 1887. Mais cette technique est pour lui d’abord un moyen : « La division, la teinte pure, je ne les ai jamais considérées comme un principe d’esthétique, moins encore comme une philosophie, mais bien et uniquement comme un moyen d’expression. Dès que ce moyen me semble incomplet, ou pour mieux dire ma pensée, tyrannique, je modifie mon outil. » (lettre à Paul Signac, 1896). Ce sera d’ailleurs la raison de sa brouille avec Signac en 1898.

Rysselberghe, sensible à la lumière, s’établit au Lavandou après 1900 et il y mourra en 1926. Les thèmes de l’artiste sont ceux des artistes impressionnistes : les portraits, la famille, les scènes intimistes, la maison, le jardin, la campagne, la mer, les nus féminins. Ses couleurs ont gardé leur fraîcheur originelle (contrairement aux peintures de Seurat par exemple) et cela donne des tableaux très plaisants. Évoluant dans un milieu d’intellectuels et d’écrivains (par exemple Maurice Maeterlinck, Émile Verhaeren ou encore André Gide, qui sera le père de l’enfant de la fille de Théo), l’artiste est le trait d’union avec le milieu des peintres français. Notre tableau du jour date de la meilleure période de l’artiste. Il a assimilé la leçon de Seurat mais n’hésite pas à s’en défaire pour une touche plus large, et un résultat très convaincant.

26/12/2015

Photo wikimedia commons : Rysselberghe_anagoria.JPG Usr anagoria

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), Paul Gauguin

Te Tamari No Atua, Nativité (Le Fils de Dieu), 1896, huile sur toile, 96 x 129 cm, Paul Gauguin, Neue Pinakothek, Munich, GW541 S371

Dans l’histoire de l’art européen, lorsque l’on évoque la Naissance de Jésus, ce sont souvent des images de nombreux peintres de la Renaissance italienne qui nous viennent à l’esprit, de Giotto au Corrège. Au deuxième rang, viennent les Primitifs flamands (Christus, Memling, Gérard de saint Jean, etc.). Il est plus rare chez les peintres de traiter ce thème au XIXe siècle.

Notre tableau du jour date de 1896, époque du 2e et dernier voyage de Gauguin. Il est reparti de Paris le 3 juillet 95 et arrivé à Tahiti le 9 septembre. Il partira pour les Marquises en 1901.

En 1896, son état de santé est très mauvais. Il souffre de sa cheville brisée dans une rixe à Pont-Aven en 1894, l’eczéma s’installe sur ses jambes, enfin la syphilis contractée avant son départ de France affaiblit son état général. Il passe les mois de juillet et août à l’hôpital de Papeete.

La composition correspond à une période de retour de Gauguin vers des sujets issus de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il peint à la même époque un Joseph et la femme de Putiphar (São Paulo) et un Autoportrait près du Golgotha (São Paulo également). Le fond du tableau à droite avec le bœuf des évangiles apocryphes est repris d’un Intérieur d’étable, du peintre Octave Tassaert (1807-1874), qui était dans la collection de Gustave Arosa, le tuteur de Paul lorqu’il était jeune.

Le contexte religieux est souligné par la présence des auréoles sur la tête de la jeune mère et du bébé.

Le motif central au second plan est repris d’un autre tableau Bé Bé, Nativité tahitienne (musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg), peint peu de temps auparavant. L’enfant serait l’un de ceux que Gauguin a eus à Tahiti, né en 1896.

Bé Bé (La Nativité tahitienne)

Bé Bé (La Nativité tahitienne), 1896, huile sur toile, 67 x 76,5 cm, Paul Gauguin, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, GW540 S370

Gauguin durant cette période se laisse parfois aller au mysticisme. Il commence d’écrire une étude sur l’Église catholique et les Temps modernes, une critique de la vision de Dieu par les prêtres et les philosophes. Il écrit par exemple « Dieu n’appartient pas au savant, au logicien. Il est aux poètes, au Rêve. Il est le symbole de la beauté, la Beauté même ». Il réfléchit déjà à sa grande toile de 1897 : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

25/12/2015

Photos
1 wikimedia commons : Gauguin_-_Te_Tamari_no_Atua_%28Son_of_God%29.jpg Usr Boo-Boo Baroo
2 wikimedia commons : File:Paul_Gauguin_061.jpg Usr Eloquence

Overschie au clair de lune, Johan Barthold Jongkind

Overschie au clair de lune, Johan Barthold Jongkind

Overschie au clair de lune, 1871, 22 x 27,5 cm, Johan Barthold Jongkind, Rijksmuseum, Amsterdam.

Jongkind (1819-1891) comme Vincent van Gogh plus tard, a eu une double culture en passant plus de temps en France qu’aux Pays-Bas. Pensionnaire du roi dès 1845, il perd sa pension en 1853 du fait de sa vie dissolue à Paris. Comme l’écrit Monet à Boudin en 1856 « Vous savez aussi que le seul bon peintre de marines que nous ayons, Jongkind, est mort pour l’art ; il est complètement fou. Les artistes font une souscription pour pourvoir à ses besoins. ». Mais heureusement pour lui, Jongkind va dans un premier temps être soutenu par ses amis d’un dévouement sans faille , puis rencontrer en 1860 Joséphine Fesser, qui sera l’amour de sa vie et prendra soin de lui jusqu’à sa mort. Ses derniers voyages en Hollande, à Overschie, chez une tante qui y possédait une maison, en 1869, vont être remplacés par des voyages, dans la Nièvre, en Dauphiné, ou dans le sud de la France.

Le tableau du jour est donc peint en atelier à Paris à partir des croquis et aquarelles réalisés sur place. Le motif du clocher d’Overschie est récurrent dans son œuvre. Quant aux bateaux, son biographe Paul Colin évoquait « des bateaux conçus, compris et représentés comme un morceau d’arabesque dans un paysage et non point à la façon d’Isabey comme un sujet très précis qu’on peut fouiller et décrire à l’infini ».

On comprend immédiatement en le regardant l’influence que Jongkind a pu avoir sur Monet, qui le côtoya dans les années 1850. Monet disait de Jongkind : «  C’est à lui que je dois l’éducation définitive de mon œil… »

19/12/2015

Photo wikimedia commons Johan_Barthold_Jongkind_-_Overschie_bij_maneschijn.jpg Usr Ophelia2

Jeune femme noire aux pivoines, Frédéric Bazille

Deux tableaux peints peu avant le départ pour la guerre de l’artiste et sa mort à Beaune-la-Rolande le 28 novembre 1870. Bazille avait retrouvé à cette occasion l’un des modèles de La Toilette (musée Fabre) et a réalisé deux versions de ce tableau que nous vous présentons ci-dessous. Les couleurs sont particulièrement étudiées et permettent d’admirer des compositions chatoyantes et très réussies.

Jeune femme noire aux pivoines, Bazille

Jeune femme noire aux pivoines, 1870, hst, 60,3 × 75,2 cm, Frédéric Bazille, 1-musée Fabre Montpellier.


Jeune femme noire aux pivoines, Frédéric Bazille

Jeune femme noire aux pivoines, 1870, hst, 60 x 75 cm, Frédéric Bazille, 2-National Gallery of Art, Washington (DC).

Ces deux tableaux portent les numéros 59 et 60 dans le catalogue raisonné établi par François Daulte. C’est l’occasion de dire quelques mots sur la notion de catalogue raisonné. Il s’agit d’un travail scientifique important, réalisé après la mort de l’artiste. Son auteur commence par répertorier tous les tableaux connus de l’artiste, puis cherche à les classer par ordre de création en se basant sur l’ensemble des éléments accessibles factuels (correspondance, journal personnel, expositions, articles de presse, témoignages de la famille et des amis, etc.) et stylistiques. Certains éléments peuvent parfois apparaître près de cent ans après la mort de l’artiste : ainsi la date de mariage d’Alfred Sisley (à retrouver dans la monographie qui paraît en janvier chez VisiMuZ) ou l’existence de 2 enfants de Renoir avec Lise Tréhot (découverts en 2002).

Le catalogue raisonné de Renoir avait été commencé par François Daulte, mais il n’a pu le finir avant sa mort en 1998. Il a été achevé en 2015 et compte 4 654 peintures. Celui de Sisley comptait 884 numéros dans sa première version en 1959. La deuxième est en cours d’élaboration. Et celui de Frédéric Bazille, toujours par le même François Daulte compte … 65 tableaux.

Il est donc plus fréquent lors de visites au musée ou d’expositions de contempler un Renoir qu’un Sisley, et beaucoup mais alors beaucoup plus facile que de voir un tableau de Bazille (70 fois plus de Renoir que de Bazille). 15 d’entre eux sont à Montpellier (musée Fabre), 6 à Orsay, 1 à Grenoble, 1 à Beaune-la-Rolande (45) et 1 en Suisse (Winterthur). Pour le reste, en dehors des collections particulières, c’est plutôt aux États-Unis (Atlanta, Washington, New York, Chicago, Minneapolis, Dallas, Pasadena, etc.) que cela se passe.

Entre ces 2 tableaux, nous préférons quant à nous la version de Washington, qui se réfère explicitement à l’Olympia de Manet, peinte 7 ans auparavant, et s’adresse plus directement au spectateur. Et vous, quelle version préférez-vous ?

18/12/2015

Fabre : photo wikimedia commons Usr : Rvalette
Washington : photo Courtesy National Gallery of Art