Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta, James Tissot

Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta,1876, James Tissot, Tate Britain, Londres.

Le Pont-promenade sur le HMS Calcutta,1876, James Tissot, Tate Britain, Londres.

James Tissot (1836-1902), né Jacques-Joseph Tissot, est le plus britannique des peintres français. Il a vécu au moins trois vies. Durant la première sous le Second Empire, il a pour amis Degas, Flandrin, Fantin-Latour, Manet ou Whistler et participe à la vie mondaine de Paris. La seconde le voit à Londres, d’abord en 1862 et 1864 puis de 1871 à 1882. Après son retour définitif en France après la mort de sa compagne, il est touché par la grâce en 1888 et peint ensuite des sujets illustrant la Bible.

Son enfance dans une famille installée à Nantes et faisant le commerce du drap lui a donné très jeune le goût des étoffes et des ports. Tissot a été une des vedettes de l’expo d’Orsay en 2012 sur « l’Impressionnisme et la mode ». Certains avaient dit, un peu vite, qu’il était plus entré dans l’histoire de la mode que dans celle de la peinture.

Notre tableau montre une scène de séduction. Tissot est coutumier de ce trio (un homme et deux femmes, qu’on retrouve par exemple dans Portsmouth Dockyard (ca 1877), de cet homme (ici, un officier du bord) qui tente d’engager la conversation avec une jeune fille (timide et cachée derrière son éventail), protégée par son chaperon qui l’isole d’un contact plus proche avec le jeune homme. On est loin du réalisme. Le peintre montre une société de privilégiés, entre glamour, luxe et superficialité, dont le charme agit plus facilement avec la distance née du temps passé depuis cette époque. Le monde que dépeint Tissot n’a pas eu l’heur de plaire à l’écrivain et critique John Ruskin qui a évoqué à son propos de « simples photographies en couleurs de la société vulgaire ».
Mais on a vu il y a quelque temps à propos de Whistler que le goût de Ruskin en peinture était assez étriqué. Même si son succès a été grand de son vivant et qu’il n’eut contrairement à beaucoup de peintres jamais de problèmes de fin de mois, la reconnaissance de Tissot en tant qu’artiste va être tardive. En 1940, seules 40 de ses toiles étaient accrochées dans des musées. La situation a bien changé et on compte une vingtaine d’enchères au-delà du million de dollars pour les toiles de Tissot dans les quinze dernières années.

Photo wikimedia commons Thegalleryofhmscalcutta james tissot 1876 Usr Austriacus

Dans le hamac, Anders Zorn

Dans le hamac, Anders Zorn

Dans le hamac, 1882, aquarelle, 56 x 38 cm, Anders Zorn, collection particulière

En 1880-85, il y a les peintres honnis, c’est-à-dire les impressionnistes. Il y a aussi les portraitistes à la mode comme Anders Zorn, James Tissot, ou encore John Singer Sargent, Alfred Stevens, Giovanni Boldini ou Carolus-Duran. Mais certains d’entre eux ont eu une double vie. Zorn, Tissot, Sargent réalisaient d’une part des portraits de commande, opulents, presque académiques, et d’autre part des peintures beaucoup plus libres, peintes seulement pour eux, dans leur vie privée.

Notre aquarelle du jour a été peinte par Anders Zorn (1860-1920) en Angleterre. Il a alors 22 ans, et revient de quatre mois passés en Espagne. Il va alors rencontrer Mary Smith, et la jeune femme va devenir un des modèles favoris, quand Zorn était à Londres, du Suédois cosmopolite qu’il était. Elle a aussi posée, habillée à l’identique, sur le tableau Sur la Tamise, devenu très vite célèbre (une gravure en a été dérivée). Notre aquarelle a été découverte en 2006 dans l’ouest des États-Unis. Elle était inconnue des historiens de l’art. Elle a alors été vendue 250 000 dollars.

Dans le même esprit, peint deux ans plus tôt, citons aussi le hamac de James Tissot.

Le Hamac, James Tissot

Le Hamac, 1880, hst, 127 x 76,2 cm, James Joseph Tissot, collection particulière

Jacques-Joseph Tissot était parti vivre en Angleterre en 1871 après deux premiers séjours à Londres en 1862 et 1864. Il avait été impliqué dans La Commune de Paris (de mars à mai 1871), et devait s’éloigner pour ne pas subir de représailles. Il rencontra bientôt Kathleen Newton, une irlandaise ayant grandi en Inde, qui devint sa maîtresse et sa muse. La belle Kathleen donna naissance à leur fils en 1876. À Londres, Tissot avait pour clientèle la « upper class society » victorienne qui ne jurait que par ses portraits flatteurs et méticuleux. Il était au centre de la vie mondaine.

Mais à partir de 1876, il privilégiera des scènes de la vie domestique, heureux dans sa vie familiale avec sa « ravissante irlandaise » qui devint aussi son modèle. Mais si le visage de Kathleen fut très vite familier aux amateurs de peinture, son nom ne fut révélé qu’en 1946. Tissot garda secrète leur relation au-delà de leur cercle d’amis immédiat.

Kathleen est évidemment le modèle de cette toile très intime, peinte dans le jardin du couple. Le parasol montre l’intérêt du peintre pour l’art japonais, à la mode à cette époque. Quand l’artiste exposa la toile à la Grosvenor Gallery, elle reçut un accueil très froid car les anglais trouvaient la pose trop alanguie, trop annonciatrice de plaisir, bref à la fois vulgaire et trop française. Non exposée pendant 120 ans, la toile fut redécouverte en 1999, puis vendue aux enchères le 16 novembre 2001 par Christie’s pour 1,324 million de livres sterling.

Le hamac deviendra un symbole de la vie pendant l’ère victorienne, mais l’honneur de représenter ces jolies jeunes femmes dans des poses alanguies revient vraisemblablement à Gustave Courbet, près de 40 ans avant.

Le Hamac, Gustave Courbet

Le Hamac (Le Rêve), 1844, hst, 70,5 x 97 cm, collection Oskar Reinhart, Winterthour

27/01/2016

Photos
1-2 Courtesy The Athenaeum, Irene, rocsdad.
3 wikimedia commons File::Gustave_Courbet_020.jpg Usr Aavindraa

Automne, Winslow Homer

12102015 Winslow Homer – Automne

Automne, 1877, 97,1 x 58,9 cm, Winslow Homer, National Gallery of Art, Washington (DC).

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Winslow Homer (1836-1910), ce grand peintre de Boston, qui a suivi le front de la guerre civile entre 1862 et 1865, puis vint passer un an à peindre en France en 1867. À partir des années 1870, sa manière s’affirme. Réaliste, proche par certains côtés de Courbet et Manet, il puise ses sujets dans la vie quotidienne et dans les bords de mer.

Automne fait partie d’une série de tableaux comme Rab et les jeunes filles (The Parthenon, Nashville) ou encore Le Ramassage des feuilles d’automne (Cooper Hewitt Museum, New York) dans laquelle les feuilles d’érable flamboyantes en cette mi-octobre jouent un rôle déterminant.

La même année, James Tissot (1836-1902), son exact contemporain, a peint un tableau montrant une jeune femme élégante en noir sur un fond de feuilles oranges (Octobre, 216 x 108,7 cm, musée des Beaux-Arts de Montréal).

James Tissot - Octobre

Comme souvent pour les tableaux de cette période, c’est Kathleen Newton, la compagne de James, qui campe cette jolie jeune femme qui dévoile sa cheville.

Comment les deux hommes ont-ils pu, l’un à Londres, l’autre à New York avoir une même idée la même année ? Se connaissaient-ils ? Certainement. Correspondaient-ils ? Nous n’en savons rien.

Homer n’avait pas coupé tous les liens avec l’Europe. Il enverra de nombreuses toiles à l’Exposition universelle de Paris en 1878, puis vivra 2 ans en Angleterre, où se trouvait alors encore Tissot, au début des années 1880.

12/10/2015

Photo Homer Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)
Photo Tissot Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Chambre donnant sur le port, James Tissot

Chambre donnant sur le port, James Tissot

Chambre donnant sur le port, 1876-1878, hst, 25,4 x 33 cm, James Tissot, collection particulière, Londres.

James Tissot (1836-1902) a peint cette toile durant sa période londonienne (1871-1882). Il avait quitté Paris et ses amis peintres du café Guerbois après la guerre de 1870 et la Commune, pour s’installer à Londres. Il y devint le peintre des élégances féminines, et le caricaturiste à la mode. Certains ont dit à l’époque qu’il avait aussi vendu son âme de peintre pour l’argent et la gloire (avis que nous ne partageons pas). Mais Tissot a aussi rencontré à Londres l’amour, en la personne de Kathleen Newton, qu’il va représenter, comme ici, et dans de nombreux autres tableaux.

Cette chambre domine le port de Ramsgate. Tissot, qui est né et a grandi à Nantes, représente les gréements avec beaucoup d’exactitude. De même, son éducation parmi les tissus de la maison de ventes paternelle lui a donné le goût de leur représentation. Ici il s’y adonne à plaisir, mettant en opposition les matières de la robe de Kathleen, de la nappe, des rideaux et du tapis.

La silhouette de Kathleen est inspirée d’un dessin préalable, sur lequel, dans la même position, elle joue aux échecs.

Vincent van Gogh, alors âgé de 23 ans, était aussi à Ramsgate en avril et mai 1876, mais les deux hommes ne se connaissaient pas. Et l’été précédant la réalisation de ce tableau, Berthe Morisot a séjourné aussi à Ramsgate, en voyage de noces avec Eugène Manet. Le lieu était à la mode, à l’embouchure de la Tamise, quand la saison d’été battait son plein, et que la reine Victoria venait y séjourner.

06/07/2015

Photo Courtesy Athenaeum, rocsdad