19/09/2015 Madame Roulin, Paul Gauguin

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Saga hebdo 2/2

Madame Roulin, nov 1888, Paul Gauguin, Saint Louis Art Museum (MO)

Nous avons laissé hier Vincent avec madame Roulin en janvier 1889. En décembre, il avait certes déjà peint Augustine tenant le bébé Marcelle dans ses bras [Philadelphia Museum of Art et Metropolitan Museum of Art]. Mais le premier à avoir peint madame Roulin a été Paul Gauguin en novembre. Faut-il y voir un effet de ce charme sulfureux qui a valu à Gauguin ses succès féminins ?
Madame Roulin doit poser dans la chambre de Gauguin puisqu’on voit sur le mur le bas d’un autre tableau de Gauguin (Les Arbres bleus (Vous y passerez la belle !), aujourd’hui au musée d’Ordrupgaard, près de Copenhague). Est-ce une allusion symbolique ?

En décembre, Vincent va faire un autre tableau d’Augustine Roulin [collection O. Reinhart, Winterthour], portant la même robe, très inspiré par celui de Paul. Il va même de manière symbolique l’assoir sur la chaise de Paul.
D’un point de vue peinture, on sait que Cézanne n’aimait ni Gauguin, ni Van Gogh. Émile Bernard a rapporté ces mots de Cézanne : « Jamais je n’ai voulu et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation  ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. » [voir la bio de Cézanne à paraître dans 10 jours chez VisiMuZ].
Et pourtant ! Certes l’homme Gauguin est au mieux déroutant, au pire insupportable. Il a eu pourtant des amis fidèles (Morice, Monfreid, etc.) et s’il s’est fâché avec de nombreux peintres, tous ou presque reconnaissaient à l’artiste une certaine prééminence. Van Gogh a pris des leçons chez Gauguin qu’il a su faire fructifier. Maurice Denis a écrit : «  Gauguin n’était pas professeur, … mais Gauguin était tout de même le maître. »

Et Gauguin lui-même, avec un brin de fatuité, écrit à propos de ces quelques mois passés en Provence [l’intégralité à retrouver bien sûr dans la biographie de Gauguin par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ avec entre-autres les tableaux de Gauguin en Provence].

« Sans que le public s’en doute, deux hommes ont fait là un travail colossal, utile à tous les deux– peut-être à d’autres. Certaines choses portent leur fruit.
Vincent, au moment où je suis arrivé à Arles, était en plein dans l’école néo-impressionniste, et il pataugeait considérablement, ce qui le faisait souffrir  ; non point que cette école, comme toutes les écoles, soit mauvaise, mais parce qu’elle ne correspondait pas à sa nature si peu patiente et si indépendante.
Avec tous ses jaunes sur violets, tout ce travail en complémentaires, travail désordonné de sa part, il n’arrivait qu’à de douces harmonies incomplètes et monotones  ; le son du clairon. J’entrepris la tâche de l’éclairer, ce qui me fut facile, car je trouvai un terrain riche et fécond. Comme toutes les natures originales et marquées au sceau de la personnalité, Vincent n’avait aucune crainte du voisin et aucun entêtement.
Dès ce jour, mon Van Gogh fit des progrès étonnants  ; il semblait entrevoir tout ce qui était en lui, et de là, toute cette série de soleils sur soleils en plein soleil. »

Et vous ? Préférez-vous madame Roulin par Paul, ou par Vincent  ?

À lundi !

Dim 51 x 64 cm
Photo wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Madame_Roulin.jpg Usr Postdlf

La Berceuse, Vincent van Gogh

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Saga hebdo1/2

La Berceuse (Portrait de madame Roulin), janvier 1889, Vincent van Gogh, Metropolitan Museum of Art, collection Annenberg, New York.

Lorsque Vincent arrive en Arles au début de mars 1888… – mais écoutons Duret, son biographe :

« …il va y vivre replié sur lui-même. Il n’aura de relations avec aucun des habitants bien placés. Il ne s’inquiète point de rechercher leur société. Il ne se tiendra en rapports qu’avec cette sorte de gens, qui pourront lui être utiles. Des hommes et des femmes du peuple, qui voudront bien lui servir bénévolement de modèles ou qui, de par leur condition, se contenteront pour poser du faible salaire qu’il peut seul leur donner. Les individus de l’ordre le plus élevé qu’il peindra pendant son séjour à Arles sont un facteur de la poste, Roulin, et un sous-lieutenant de zouaves, Milliet. …/… Les relations avec le sous-lieutenant, qui quitte Arles assez promptement, furent de courte durée, mais elles se prolongèrent avec le facteur et conduisirent de sa part à un véritable attachement. Van Gogh a peint Roulin plusieurs fois dans son uniforme. Il a aussi peint sa femme et a exécuté d’après elle la composition qui s’est appelée La Berceuse. »

Récapitulons : six portraits du facteur, avec sa barbe fleurie, et 17 portraits d’Augustine, d’Armand, de Camille et du bébé Marcelle. Le moins qu’on puisse dire est que les modèles ont voulu lui faire plaisir. Le tout a été peint entre juillet 88 et avril 89.

Mais l’épisode de l’oreille coupée a eu lieu le 23 décembre 88. Notre tableau du jour date de janvier 89, c’est le premier portrait de madame Roulin en berceuse d’un berceau invisible (tenu par la corde). Il en réalise 4 autres versions ensuite. Aujourd’hui 2 tableaux sont aux Pays-Bas, les 3 autres aux États-Unis (New York, Chicago, Boston).

Vincent a précisé dans ses lettres qu’il voulait peindre au-delà d’un portrait un « type idéal » à « valeur de mythe », il ressentait le mouvement de la berceuse comme un thème « consolateur » rappelant le « propre chant de nourrice » et ce thème apaisait ses souffrances personnelles à l’hôpital.

Pour finir, dévoilons qu’entre 1895 et 1900, Ambroise Vollard, toujours à l’affût d’un bon coup, racheta les six toiles que Vincent avait données à Joseph Roulin, dont ce tableau. Un peu plus tard, il fera la même chose à Aix après la mort de Cézanne en 1906.

Les tableaux de la famille Roulin sont à retrouver dans la bio de Van Gogh… chez VisiMuZ bien sûr,
et la suite, assez surprenante, demain matin.

18/09/2015

Dim : 92,7 x 73,7 cm
Photo VisiMuZ

Le Moulin à eau, Egon Schiele

Le Moulin à eau, Schiele

Le Moulin à eau, 1916, 110 x 140 cm, Egon Schiele, musée d’état de Basse-Autriche, St. Pölten.

De faible constitution et de santé fragile, Schiele avait été réformé en 1914. Mais en 1915, l’armée autrichienne subit de lourdes pertes et Schiele est rappelé et déclaré bon pour le service. Même si son poste est une sinécure (il est fourrier près de Vienne), même s’il peut de temps à autre rentrer voir sa femme Édith et aller à son atelier, il est suffisamment préoccupé pour ne pas pouvoir souvent peindre. Il va réaliser seulement huit tableaux dans l’année, et parmi eux ce « Moulin à eau » qui correspond à un tournant dans son œuvre. Ses tourments se sont un peu apaisés avec son mariage en 1915. De plus son rôle comme soldat (puis caporal) lui a permis de trouver une place dans la société, place qui lui avait été refusée comme peintre. Sa manière devient moins exacerbée, plus réaliste. Le Professeur Rudolf Leopold, créateur du musée éponyme à Vienne, parlait pour les deux dernières années qui suivent, du « maniérisme » de Schiele, parfaitement visible ici dans la combinaison particulièrement sophistiquée des motifs de la façade et le traitement du flux de l’eau. Le haut de la toile exprime tout le calme d’une maison érigée là depuis longtemps, qui se dégrade lentement avec le temps qui passe. Au contraire le bas exprime toute la force et l’énergie de l’eau canalisée. D’un point de vue pictural, la manière est aussi inspirée des estampes japonaises.

Egon Schiele meurt de la grippe espagnole le 31 octobre 1918 à seulement 28 ans, trois jours après sa femme. Sa belle-sœur Adèle Harms a recueilli les dernières paroles du peintre : «  La guerre est finie et je dois partir. Mes œuvres seront exposées dans les musées du monde entier. »

17/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocscad

16/09/2015 Mlle V… en costume d’espada, Édouard Manet

Manet, Mlle V… en costume d'espada

Mademoiselle V… en costume d’espada, 1862, Édouard Manet, Metropolitan Museum of Art, New York

V… pour Victorine. Citons d’abord Théodore Duret, le biographe et l’ami de Manet [dans sa biographie, éditée par VisiMuZ].

«  Victorine Meurent était une jeune fille que Manet avait rencontrée, par hasard, au milieu de la foule, dans une salle, au Palais de Justice. Il avait été frappé de son aspect original et de sa manière d’être tranchée. L’ayant fait venir à son atelier, il avait d’abord peint d’elle cette tête [Museum of Fine Arts, Boston]. Puis il l’avait utilisée, comme modèle, dans deux œuvres, La Chanteuse des rues[Boston] et Mlle V… en costume d’espada. À partir de ce moment, elle était devenue son modèle préféré et tous ceux qui, entre les années 1862 et 1875, ont connu Manet et fréquenté son atelier, ont connu Victorine. Elle lui a aussi servi pour la femme du Déjeuner sur l’herbe, pour l’Olympia, la Jeune femme du Salon de 1868 [La Femme au perroquet au Met], la Joueuse de guitare, la femme en bleu du Chemin de fer. »

Victorine va vivre un moment avec un ami de Manet, le peintre belge Alfred Stevens (1823-1906), poser aussi pour lui (Le Sphinx parisien, 1867), puis sa carrière de modèle terminée, va se mettre à la peinture, et sera reçue au Salon. Elle vivra ensuite discrètement à Colombes jusqu’à sa mort en 1927, dans une toute autre époque.

Victorine, ni grisette, ni lorette, ni cocotte, selon la classification en usage à l’époque, est d’abord un exemple de femme libre, qui montre fièrement son corps (et celui-ci n’est pas du tout conforme aux canons du Second Empire) et vit sa vie, sans se soucier du qu’en dira-ton.

L’espagnolisme de Manet dans les années 60 ne lui était pas venu par la fréquentation de Velasquez et de Goya. Citons Duret toujours : « S’il était allé tout de suite visiter les musées de Hollande et d’Allemagne, et étudier les Italiens chez eux, il ne devait aller voir les Espagnols à Madrid qu’en 1865, alors que sa personnalité serait pleinement développée. Les premiers tableaux consacrés à des sujets espagnols lui ont été suggérés par la vue de chanteurs et de danseurs, venus en troupe à Paris. Séduit par leur originalité, il avait ressenti l’envie de les peindre. » Il s’est servi alors des accessoires qu’ils avaient laissés pour habiller ses modèles. Dans une corrida, le mozo de espadas ou valet d’épées est l’assistant personnel et exclusif du matador.

Dim : 165,1 x 127,6 cm
Photo VisiMuZ

La Grande Portugaise, Robert Delaunay

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La Grande Portugaise, 1916, Robert Delaunay, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Robert Delaunay était très lié avant 1914 avec les peintres allemands August Macke et Franz Marc, ou encore avec Vassily Kandinsky (qui vivait en Allemagne). Sa femme Sonia Terk-Delaunay, d’origine ukrainienne, avait grandi aussi en partie en Allemagne. Aussi quand la guerre éclate, Delaunay, qui était en vacances en Espagne, décide de ne pas rentrer en France. Il s’installe à Madrid avec Sonia, pendant que Macke puis Marc se font tuer en France. En 1915, il s’établissent au Portugal et vont alterner séjours en Espagne et au Portugal jusqu’en 1922.

D’abord qualifié comme déserteur, Robert se présente au consulat de Vigo en 1915 et est réformé pour raisons de santé. Delaunay avait abordé l’abstraction (cercle coloré) en 1912 et 1913. Il revient pendant la guerre à la figuration tout en appliquant pour plus de force la théorie du contraste simultané des couleurs (Chevreul, 1839), et en introduisant dans la toile ses disques chromatiques. La lumière du Portugal exerce aussi sur lui une influence importante qui se retrouve dans ses toiles puissantes, aux couleurs chaudes. Delaunay pensait que la couleur pure avait un impact plus fort en créant une émotion immédiate. Il utilise aussi souvent dans le même tableau différentes techniques pour les besoins de son sujet. L’huile est couvrante et permet plus d’épaisseur de la matière, la colle est utilisée pour les surfaces sèches, et la cire pour les surfaces transparentes.

Ce tableau est d’une taille imposante (180 x 205 cm). Il prend toute sa force quand on arrive dans la salle où il est accroché (quand il n’est pas prêté). Une autre version, plus petite et aux couleurs un peu moins puissantes, se trouve au musée de Colombus (Ohio).

15/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Chemin montant, Gustave Caillebotte

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Chemin montant, 1881, Gustave Caillebotte, collection particulière.

Notre tableau du jour est fascinant à plus d’un titre…

Daté de 1881, il représente une transition entre ses toiles des années 1870 (paysages urbains, ou la propriété de famille de Yerres) et celle des années 80 (Seine à Argenteuil, jardins, portraits). Au printemps 1881, Gustave a acheté une maison au Petit-Gennevilliers qui va influencer fortement sur sa vie et ses toiles.

On voit ici deux personnages non reconnaissables, de dos, le long d’une villa cossue. Qui est ce couple de bourgeois parisiens ? Où se trouve cette maison ? Un problème qui a fasciné les historiens… dès que le tableau a été connu. C’est là le 2e mystère fascinant.

L’existence du tableau a été connue dès son exposition en 1882 au Salon des Artistes Indépendants. Il y avait fait sensation. Son thème, sa taille importante (100 x 125 cm), ses couleurs avaient partagé les visiteurs entre pros et antis. Puis, pffft ! plus rien, disparu ! Jusqu’en 1994, l’année de la redécouverte de l’artiste à l’occasion d’une grande rétrospective. 112 ans sans le voir, pas une photo, juste une caricature publiée dans Le Charivari en 1882 !

On suppose qu’il a appartenu d’abord à Doris Schultz (1856-1927), une élégante parisienne dont le domicile était proche de celui de Caillebotte. Dans les années 30, en tout cas, on parle de sa présence dans la collection de Jeanne Schultz, sa fille.

Caillebotte n’avait pas indiqué où la toile avait été réalisée. Son exposition en 1994 excite à nouveau le petit monde de l’art, qui cherche, puis trouve, qu’en fait le tableau a été peint à Trouville, à la « Villa Italienne ».

Gustave Caillebotte passait ses vacances d’été à Villers-sur-mer, et régatait tout l’été. Trouville, très voisine, était la villégiature à la mode. Martial Caillebotte, son frère, a posé pour le peintre. Charlotte Berthier, la compagne de Gustave a vraisemblablement posé pour la jeune femme, dans cette pose qui ne permettait pas de l’identifier.

Il est alors plausible que le titre, donné par le peintre, est aussi une métaphore du chemin de la vie. Le couple représenterait alors Gustave et Charlotte sur ce chemin montant. La jeune femme n’avait alors que 18 ans, et si sa présence était connue da la famille et des amis proches, son existence était soigneusement cachée à la bonne société que le peintre-industriel fréquentait.

Cette réapparition subite du tableau après 112 ans ne devait rien au hasard. Il fallait créer l’évènement. Le 4 novembre 2003, le tableau a été mis aux enchères par Christie’s, précédé de cette réputation flatteuse. Il a été vendu 6,73 millions de dollars.

P.S. : Nous ne savons pas où se trouve aujourd’hui ce tableau. Par contre, la Villa « Italienne », existe toujours. À ce jour, elle est même proposée à la vente.

14/09/2015

Photo wikimedia commons G._Caillebotte_-_Chemin_montant Usr HGrobe

Nu sur un divan (Almaïsa), Amedeo Modigliani

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Saga Hebdo 2/2

Nu sur un divan (Almaïsa), 1916, hst, 81 x 116 cm, Amedeo Modigliani, collection M. et Mme Paul Wurzburger, Cleveland (OH).

Une autre facette, plutôt agréable 🙂 , de notre modèle d’hier.

Ce portrait d’Almaïsa allongée nue sur un divan est le premier des six grands nus que Modi a réalisés au long de l’année 1916, avant les 20 nus de 1917. Modigliani à cette époque est sorti de l’influence du Picasso des Demoiselles d’Avignon et du primitivisme pour entrer dans une période plus réaliste et plus personnelle. Il a abandonné la sculpture et il peint. En cette année 1916, tous ses modèles sont représentés coupés au niveau des tibias. Ils regardent aussi tous le peintre, instaurant par là même ensuite un autre dialogue avec le spectateur. Lors de l’exposition de décembre 1917 chez Berthe Weill, les nus de Modigliani seront saisis par la police pour « outrage à la pudeur ».

Son ami André Salmon écrit : «  Il n’eut point de modèle type. Les femmes de Modigliani ne pourraient être signées d’aucun autre, mais il s’est bien évidemment défendu d’inspirer un type de femme bien propre à s’aller prostituer dans tous les ateliers secondaires. Qu’il peigne le modèle anonyme, la petite bonne de Rosalie, de Zborowski ou de celle de ce marchand de la rive droite enfermant le peintre et son modèle dans un cellier…/.. l’esprit de Modigliani domine.»

Un mot des collectionneurs ! Paul Wurzburger (1904-1974), né à Lyon, arriva à Cleveland en 1941. Le grand public connaît au moins l’une de ses sociétés : Patex. Odette (1909-2006), son épouse, née Valabrègue à Avignon, était une avocate, résistante durant la 2de guerre mondiale, qui rejoignit Cleveland en 1960.

À lundi !

[*] La Vie passionnée de Modigliani, p. 320.

12/09/2015

Photo Wikimedia commons Amedeo_Modigliani_001.jpg Usr Eloquence

Almaïsa, Amedeo Modigliani

Almaïsa - Modigliani

Saga Hebdo 1/2

Almaïsa, 1916, hst, 91,4 x 53,3 cm, Amedeo Modigliani, collection particulière.

Quoi de plus fascinant que la vie de Modigliani ? Ce mélange de culture, de sensibilité, de transgression permanente, dans le Montparnasse de la guerre. En 1916, Modigliani met fin à sa relation tourmentée (et violente) avec Béatrice Hastings. Il va commencer sa série des grands nus, qui le mènera jusqu’à la fin de 1917. Malgré son manque chronique d’argent, il réussit grâce à son charme et sa beauté (son magnétisme, disaient alors les femmes), à faire poser pour lui quelques modèles professionnels. Almaïsa était de ceux-là.

Modi l’a identifiée clairement en haut à droite sur ce tableau. Il semble que son nom signifie en arabe « Celle qui se dandine ». Était-elle danseuse, comme son nom ou surnom peut le laisser supposer ? Était-elle algérienne, comme Modi l’a écrit à son propos d’un autre tableau ? Certains le pensent, d’autres évoquent « L’Italienne à Alger » (1813) de Rossini, et pensent qu’elle était italienne. À cette époque Modi vivait seul (il ne rencontra Jeanne Hébuterne qu’en avril 1917). A-t-elle été pour lui plus qu’un modèle ? Comme cette Germaine, (ou Thérèse, ou Suzanne, les avis divergent) dont André Salmon raconte que Modi lui avait donné un fils non reconnu ? Almaïsa est identifiable avec certitude sur 2 tableaux de Modi (et certains historiens la reconnaissent sur plusieurs autres), mais elle n’apparaît pas chez les autres peintres de cette époque.

En tout cas, le modèle fait aussi rêver (ses yeux en amande, les lèvres ourlées, etc.) et quand ce tableau, qui était dans une collection bâloise, a été mis en vente chez Phillips à New York en 2001, une bataille d’enchères le vit adjugé à 7.1 millions de dollars.

11/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

10/09/2015 La baie de Marseille, vue de l’Estaque – Paul Cézanne

10092015 Estaque Cezanne Metropolitan

La baie de Marseille, vue de l’Estaque, ca 1885, Paul Cézanne, Metropolitan Museum of Art, New York.

Cézanne et l’Estaque, c’est une histoire d’amour, qui commence au milieu des années 1860 et se terminera définitivement au milieu des années 1890, du fait d’une urbanisation qu’il trouvait envahissante ainsi que de « l’invasion des bipèdes », c’est-à-dire les premiers estivants. Mais quand Cézanne a abandonné l’Estaque, une nouvelle génération l’a aussitôt remplacé. Les Fauves (Derain, Dufy, Braque, Friesz) vont venir y peindre dès 1906.

En dehors de ses escapades à la journée depuis Aix, Cézanne va aussi vivre à l’Estaque de septembre 1870 à mai 1871, à la fois pour cacher Hortense Fiquet à sa famille et échapper à la conscription. Il habitait dans une petite maison que sa mère possédait dans le bourg, et partageait son temps entre le travail dans la campagne, les escapades au Jas de Bouffan pour voir brièvement sa famille et la vie avec Hortense, qu’il avait installée à Marseille.

Un peu plus tard, dans une lettre du 2 juillet 1876 à Pissarro, Cézanne écrit à propos de l’Estaque : « C’est comme une carte à jouer : des toits rouges sur la mer bleue. Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouettes, non pas seulement en blanc et noir mais en bleu, en rouge, en violet. Je puis me tromper, mais il me semble que c’est l’antipode du modèle. »

En 1882 déjà, Cézanne commence à désespérer de l’Estaque. Renoir raconte : « Oh ! N’y allez pas ! se récria Cézanne, qui en revenait. L’Estaque n’existe plus ! On a mis des parapets ! Je ne peux pas voir ça. »

Notre tableau date des années 83-85. Dans l’arrière-plan, on distingue Marseille et Notre-Dame-de-la-Garde. Mais souvenons-nous que pour l’artiste, la réalité était accessoire et que son tableau devait d’abord confronter des surfaces et des volumes, comme ici la mer et le ciel d’une part, les toits du premier plan et les massifs montagneux des calanques au fond d’autre part.

Un tout petit aperçu de la monographie de Cézanne qui paraîtra le mois prochain chez VisiMuZ. Comme d’habitude, l’auteur en est un proche de l’artiste. Georges Rivière était l’autre grand-père des petits-enfants de Cézanne. Il a suivi ses amis Renoir et Cézanne dès le début de l’aventure impressionniste.

Dim : 73 x 100,3 cm
Photo VisiMuZ

09/09/2015 Après le petit-déjeuner, Childe Hassam

Childe Hassam Après le petit-déjeuner

• Après le petit-déjeuner, 1886, Childe Hassam, collection particulière

Childe Hassam (1859-1935) est l’un des premiers impressionnistes américains, co-fondateur des « Ten American Painters ». Il a passé 3 ans en France à partir de 1886 . Il est arrivé juste au moment de la dernière exposition impressionniste et va être durablement influencé par Claude Monet.

Encore au début de sa longue carrière, il avait à cette époque une prédilection pour les femmes et les fleurs. La peinture du jour a sans doute été réalisée dans la résidence d’été de son ami Ernest Blumenthal à Villiers-le-Bel. Madame Blumenthal était la fille du peintre Thomas Couture, le maître d’Édouard Manet. Elle était aussi la plus proche amie de Maud Hassam et les Hassam ont passé l’essentiel de leurs 3 étés français à Villiers-le-bel, trop désargentés pour aller plus loin, en dehors d’un unique voyage en Normandie.

La jeune servante arrose le laurier en pot, pendant que sa patronne lit le journal du matin après son petit-déjeuner. Le rituel du journal est une concession à la modernité, une pose que l’on retrouve par exemple chez Degas (La Classe de ballet, ca 1880, Philadelphie), chez Mary Cassatt (Madame Cassatt lisant Le Figaro, 1878, collection particulière ou Lydia lisant le journal, 1878-79, Norton Simon). L’arrosage se retrouve aussi par exemple chez Morisot (Jeune femme arrosant un arbuste, 1876, Virginia Museum). On voit que les sources d’inspiration ne manquaient pas pour le jeune Américain. Mais le style est plutôt puisé dans les années 70 de Monet et Renoir. Hassam louait un atelier boulevard Rochechouard dont l’occupant précédent avait été Renoir.

La composition est également très influencée par Edgar Degas et Mary Cassatt. Elle est complètement asymétrique, une caractéristique nouvelle choisie par Degas dès les années 1870. Hassam cherche à exprimer chez ces deux jeunes femmes un charme commun en dépit de la différence de position sociale. Et même si ce tableau est sous influence de ses aînés français, il en résulte une toile pleine de charme, un moment de grâce par une belle journée d’été.

Dim 73 x 101
Photo Courtesy The Athenaeum.

Augusta cousant devant une fenêtre, Mary Cassatt

Mary Cassatt Augusta cousant

• Augusta cousant devant une fenêtre, ca 1905-1910, Mary Cassatt, Metropolitan Museum of Art, New York.

Un tableau de la maturité de Mary Cassatt, la période qui la fit surnommer le «  peintre des enfants et des mères ». Intéressons-nous à son propriétaire. On ne dira jamais assez l’importance des collectionneurs dans la carrière des artistes. De l’autre côté de l’Atlantique, les Havemeyer, Stillman, Clark, Dale, ont compté pour beaucoup dans la renommée de Renoir, Degas, ou Miss Cassatt.

James J. Stillman (1850-1918) avait acheté cette toile directement à Miss Mary, comme de très nombreuses autres… Homme d’affaires new-yorkais, amoureux de Mary Cassatt, il l’aurait demandée en mariage autour de 1900. Celle-ci, qui avait alors autour de 55 ans, et était de 6 ans plus âgée que lui, déclina la proposition. Elle aurait aussi été influencée en cela par sa gouvernante et amie Mathilde Vallet qui ne voulait pas qu’elle « laisse le nom de Cassatt. » Mary et James restèrent amis et se virent souvent, surtout après que James Stillman se soit installé à Paris après sa retraite en 1909. Il acheta nombre de tableaux chez Durand-Ruel et possédait à sa mort 22 tableaux de Mary Cassatt. Mais il n’a pas osé demander à Miss Mary de réaliser son portrait et nous ne possédons que des photos de James Stillman.
Degas et lui furent les deux hommes à avoir compté dans la vie de Mary Cassatt.
Après la mort de son propriétaire en 1918, le tableau a fait l’objet d’une donation (anonyme, donc vraisemblablement par son fils James A. Stillman) au Metropolitan Museum en 1922.

Dim 80,6 x 60,3 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad