Nu allongé (La Source), Pierre-Auguste Renoir

Nu allongé (La Source) , Renoir

Nu allongé (La Source), ca 1902, hst, 67,3 x 153,3 cm, Pierre-Auguste Renoir, collection particulière

Nous vous proposons aujourd’hui de regarder et d’analyser le tableau du jour avec une méthode inspirée d’Erwin Panofsky, que nous avons eue l’occasion de préciser dans un article du site VisiMuZ : Quel regardeur êtes vous ? à lire ici

En synthèse, nous disions que :

« La découverte d’un tableau s’effectue en plusieurs phases  : une émotion visuelle (1), puis une analyse de l’œuvre (2), de sa place dans le corpus de l’artiste (3), de sa place dans l’époque et l’histoire (4). Enfin il existe une dernière dimension qui est celle de la saga, liée à l’œuvre elle-même après sa création (5). »

Regardons d’un peu plus près ce nu allongé.

1) Ce nu représente une jeune femme allongée, aux yeux clos, avec de l’eau qui coule sur la cuisse, dans un paysage esquissé. Les rose et orange de la jeune femme s’opposent aux verts du paysage, selon des principes bien connus des coloristes. La jeune femme est immobile (un détail dont nous reparlerons demain).

2) Quand on regarde cette jeune femme, on a une impression de déjà vu, et pour cause. Le thème de la nymphe à la source est apparu à la Renaissance, quand selon le mot de Malraux, « Van Eyck a peint les Arnolfini parce qu’ils existent ; Ève, la Vierge et les saints parce qu’ils existent plus encore. Mais l’Italie va peindre Vénus parce qu’elle n’existe pas ».

Après Giorgione en 1510, c’est l’allemand Lucas Cranach (1472-1553) qui a popularisé le thème (avec 16 versions différentes) entre 1515 et 1540, et a écrit sur le panneau « N’interrompez pas le sommeil de la nymphe de la source sacrée ».

La Nymphe à la source, Lucas Cranach l'Ancien

La Nymphe à la source, po 1537, hsp, 48,4 x 72,8 cm, Lucas Cranach l’Ancien, National Gallery of Art, Washington (DC)

Mais en l’occurrence, on sait que c’est un autre artiste de la Renaissance, son contemporain Jean Goujon (ca 1510-ca 1565) qui a inspiré Renoir au travers d’une sculpture maniériste en bas-relief de la Fontaine des Innocents (maintenant au musée du Louvre).

Jean Goujon nymphe

Nymphe et un petit génie sur un cheval marin, Jean Goujon, musée du Louvre

3) Renoir avait déjà peint ce thème en 1869-70 (voir à la National Gallery) mais dans une position et avec une facture très différente. Puis à partir de 1881, Renoir a voyagé. Il a confié à Vollard (la monographie ici) son envie de découvrir les Italiens de la Renaissance (Raphaël, Titien, etc.).

Il va bientôt commencer sa période aigre ou ingresque, puis au milieu des années 90 revenir à un certain classicisme français (Watteau, Boucher). Il va alors réaliser en 1895 une première version de cette nymphe à la source (aujourd’hui à la fondation Barnes à Philadelphie) puis cette version en 1902. Une 3e version sera réalisée en 1910 (fondation Barnes également).

4) Quand Renoir réalise cette toile, il est un peintre arrivé, chevalier de la légion d’honneur, il a reçu des commandes de l’État depuis 1892. Marié depuis plus de 10 ans, il s’est embourgeoisé. La période impressionniste est loin derrière. Les nus qu’il peint dans cette période, tout en courbes, et au dessin dilué dans la couleur, vont durablement influencer Picasso et Matisse.

5) La saga de l’œuvre ajoute encore à son mystère et à sa gloire. Le premier propriétaire du tableau a été le galeriste Paul Rosenberg, marchand de Picasso après la 1ère guerre mondiale. En 1940, la toile a été volée avec de nombreuses autres par l’E.R.R.(Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) et envoyée dans la collection du maréchal Goering. Le tableau a heureusement été récupéré en 1945 par les Monuments Men et rendu à son propriétaire.
Paul Rosenberg (1881-1959) l’a ensuite offert au Museum of Modern Art (MoMA, New York) en 1956. Le tableau a été une de ses vedettes mais en 1989, la direction du MoMA a décidé que ce nu était trop classique pour une collection dédiée à l’Art moderne et l’a vendu. Il a été acheté alors par M. et Mme Ernst Beyeler. Ernst Beyeler, très grand marchand d’art, est mort en 2010. Pour payer les frais de fonctionnement de sa fondation, devenue musée, près de Bâle, une vente a eu lieu le 21 juin 2011 à Londres. Cette toile a été alors vendue par Christie’s pour la somme de 5,08 millions de Livres soit un peu plus de 8 millions de dollars. Nous ne connaissons pas le propriétaire actuel.

Mais Paul Rosenberg, Hermann Goering, le MoMA, Ernst Beyeler ont, chacun à leur tour, voulu faire les yeux doux à cette nymphe alanguie !

Maintenant, regardez-vous toujours ce tableau de la même façon ? Une vision sans doute plus facile à acquérir grâce à la lecture des monographies éditées par VisiMuZ.

03/12/2015

Renoir photo wikimedia commons : File:Pierre-Auguste_Renoir_-_La_Source._Nu_allongé.jpg Usr Oxxo
Cranach Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)
Gojon wikimedia commons File: P3140183_Paris_Louvre_Goujon_Nymphe_et_un_petit_génie_ sur_un_cheval_marin_reduct.JPG Usr Mbzt

Le Port de Saint-Tropez, Paul Signac

Le Port de Saint-Tropez , Paul Signac

Le Port de Saint-Tropez, 1901-02, hst, 131 x 161,5 cm, Paul Signac, musée national de l’art occidental, Tokyo

Paul Signac est arrivé (sur son voilier Olympia, ainsi nommé en hommage à Édouard Manet) à Saint-Tropez en 1892. Enchanté par l’endroit, il s’y installe et achète une maison : « La Hune ». Depuis, il n’a de cesse de peindre les bords de mer et surtout le port. À propos de cette toile, Signac écrit à son ami, le critique d’art Félix Fénéon (lettre, 13 février 1902) :

« Ici, calme. Commencé une assez grande toile. Port de Saint-Tropez. Arabesque bleu (quai, tonneaux, pêcheurs, filets barque) sur un fond très orangé (maison, clocher, tartanes, cargo-boat, torpilleur, brick, goélette) ».

Le peintre-yachtman se fait ici plaisir en montrant différents types de gréements, propices à des variations de formes et couleurs. Lorsque la toile sera exposée au Salon des Indépendants, le critique H. Bidou écrira, dans L’Occident (juin 1902) :

« Le sujet, conformément à son éclat et sa magnificence, s’enferme dans des lignes tournantes et constitue un ovale. L’architecture de cet ovale est marquée non seulement par les lignes, mais par les couleurs. L’arc inférieur (bateaux, pêcheurs du premier plan) est bleu tandis que l’arc supérieur, qui le prolonge et tourne dans le ciel, s’amincit et s’évapore en nuages couleur de laque. Dans l’ellipse formée par ce cadre froid d’outremer, de violet et de rose, resplendit au contraire l’or des maisons et des eaux… »

Joli compliment à l’artiste, n’est-il pas ? Un tableau pour se réchauffer dans cette grisaille de fin d’automne.

02/12/2015

Photo wikimedia commons : Paul_Signac_-_The_Port_of_Saint-Tropez_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot.

La Mer de glaces, Caspar-David Friedrich

La mer de glaces, Caspar-David Friedrich

La Mer de glaces, 1823-24, hst, 126,9 × 96,7 cm, Caspar-David Friedrich, Kunsthalle Hambourg

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Friedrich (1774-1840) est d’abord un artiste romantique. Il se voulait peintre de paysages mais il inclut souvent des éléments imaginaires, ou des morceaux d’histoire. Ici, il fait référence à la grande quête du XIXe siècle, le passage du nord-ouest, qui sera immortalisé en littérature par les Aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne en 1864, et sera finalement vaincu en 1906 par Amundsen.

Sur la droite, on peut voir l’épave du HMS Griper, perdu lors de l’expédition de Parry en 1820. Évidemment, Friedrich n’est jamais allé dans l’arctique, mais il voyait chaque hiver l’Elbe gelé, et s’en est inspiré pour ces aiguilles de glace qui pointent vers le ciel.

Le tableau a été jugé trop radical quand il a été montré et l’artiste n’a jamais pu le vendre jusqu’à sa mort. C’est pourtant (avec l’œil du XXIe siècle) une de ses œuvres majeures. Friedrich était fasciné par la glace. À l’âge de treize ans, Il avait été sauvé par son frère alors qu’il patinait. Ce même frère se noiera un peu plus tard (en 1787) en tombant d’une barque.

À sa mort, Friedrich était déjà complètement oublié. Redécouvert par un chercheur obstiné en 1906, il restera ignoré dans la première moitié du siècle. La grande exposition de Paris en 1976 lui permit de retrouver une gloire, à notre avis méritée.

01/12/2015

Photo wikimedia commons Caspar_David_Friedrich_006.jpg usr : Mathiasrex

Lavandière, Paul Guigou

Quand le cadrage est novateur et qu’en plus la lumière illumine la toile, on s’aperçoit que la tradition classique a du plomb dans l’aile !

Paul Guigou Lavandière

Lavandière, 1860, hst, 81 x 59 cm, Paul Guigou, musée d’Orsay.

L’artiste, originaire du Vaucluse, a quitté Marseille pour Paris en 1863, avant de mourir à 37 ans en 1871 d’une congestion cérébrale. Il était ami du montpelliérain Bazille, et tous deux auraient dû faire partie des impressionnistes si la mort ne les avait fauchés avant. Guigou est d’abord le peintre des Alpilles, de la Durance et de la Provence. C’est un coloriste né, ses ciels sont lavés par le mistral, ses pierres chauffées par le soleil, mais c’est aussi un grand dessinateur. Courbet l’inspire, mais sans le désir du maître d’Ornans de « choquer le bourgeois ». Après sa mort, Guigou fut très vite oublié et redécouvert seulement au tournant du XXe siècle. Il est représenté à Orsay, à Boston, Chicago ou Washington et dans quelques musées de province en France mais il est très étonnant de constater que la plupart de ses toiles sont toujours dans des collections privées. La dernière rétrospective importante qui lui a été consacrée a eu lieu à Marmottan en 2005.

Cette composition, aux nuances de beige, de bleu et de gris exceptionnelles a été reprise presque à l’identique dans un autre tableau en 1862 (collection particulière), qui représente cette fois deux lavandières. Ce tableau de a fait l’objet d’un don de Paul Rosenberg (oui, le grand-père d’Anne Sinclair) au musée du Louvre en 1912.

À l’époque de notre tableau, Guigou est encore à Marseille. Son art, comme celui de Manet et ses amis quelques années après, est ignoré par les gens qui comptent dans le milieu artistique. Seuls quelques artistes et de très rares amateurs du sud de la France apprécient les oeuvres de Paul Guigou. Au nombre de ceux-ci, on trouve un certain Paul Gachet (celui de Cézanne et Van Gogh) qui est en train de terminer ses études de médecine à Montpellier.

30/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, Irene

Paysage de neige au bois de Boulogne, Félix Vallotton

Vallotton Paysage de neige au bois de Boulogne

Paysage de neige au bois de Boulogne, hst, 60 x 73 cm, 1925, Félix Vallotton, collection particulière

Le Livre de raison

Félix Vallotton était quelqu’un de très ordonné et méticuleux, dans sa peinture comme dans sa vie, tout le contraire d’un Cézanne par exemple. Dès qu’il commence à peindre il prend l’habitude de noter dans un journal, qu’il a appelé son Livre de raison un titre, un libellé, parfois une courte description du tableau fini, un numéro. Bien sûr, il a eu quelques oublis, commis quelques erreurs mais globalement sa carrière est assez facile à retracer. Ce Livre de raison a été publié d’abord par son amie Hedy Hahnloser-Bühler en 1936. Il a servi de base à Marina Ducrey pour son catalogue raisonné en 2005.

Notre tableau du jour est le dernier peint par l’artiste. Dans le Livre de raison, il porte le numéro 1602. Dans le catalogue de 2005, son numéro est 1704. On voit que l’artiste avait plutôt bien répertorié ses œuvres.

Le dernier mois

Vallotton était tout à fait conscient de la gravité du cancer qui le rongeait. L’opération est programmée pour le 26 décembre, il ne sortira pas de la clinique.

Citons Charles Fegdal, son biographe :

« De santé robuste, il est tout à coup atteint de douleurs au ventre, douleurs croissantes, douleurs intermittentes, mais effroyables. Les médecins déclarent l’opération inévitable ; elle est décidée. Vallotton hésite. Sursaut de son caractère promptement inquiet. Il défend, autour de lui, qu’on parle d’intervention chirurgicale. Dès le 15 décembre, il est résolu devant l’opération imminente ; il y aurait danger à surseoir. Il continue sa vie quotidienne. Il s’efforce à paraître gai. Il l’est davantage qu’à l’habitude. Tous les matins il vient, seul, à son atelier. Il s’y enferme. Il supprime, il déchire, il brûle des papiers, des dessins, des études, une grande partie de son Journal ; il coupe en morceaux des toiles qu’il juge mauvaises, il barre des dessins, il jette au feu des romans ébauchés, une pièce de théâtre, il détruit des cires qu’il avait modelées… Par son entrain, par ses projets, il laisse penser à ceux qui l’approchent qu’il croit à la guérison…

Un matin froid, un matin de neige, il va au Bois, il prend des notes. De retour à l’atelier, tout d’un trait, il peint, – « pour oublier », a-t-il dit à une amie, – il peint sa dernière toile.

Si Renoir détestait la neige « cette lèpre de la nature », disait-il, Vallotton comme Sisley avant lui, a su rendre la lumière, ainsi que l’atmosphère étouffée, le silence presque palpable. Contrairement à Sisley qui peignait dans la nature, Vallotton peignait toujours à son atelier, de mémoire.

Ce tableau est à retrouver avec plus de 230 autres œuvres illustrées à contempler dans l’édition VisiMuZ de la biographie de référence de Félix Vallotton par Charles Fegdal : ici.

Le 5 décembre 2005, Christie’s mettrait en vente cette toile, pratiquement 80 ans après la mort de l’artiste le 28 décembre 1925. L’estimation était de 300-350 000 CHF. Le tableau a triplé son estimation et été adjugé 1 080 000 CHF. Les détails ici.

28/11/2015

[*] Marina Ducrey, avec la collaboration de Katia Poletti, Félix Vallotton (1865-1925). L’Œuvre peint. Volume I : Le Peintre ; volumes II et III : Catalogue raisonné, Milan, 5 Continents Éditions,‎ 2005.

Photo courtesy wikiart.org

Le 14 juillet, rue Daunou, 1910, Childe Hassam

Un tableau très symbolique aujourd’hui, à de multiples titres…
Un Liberty Cocktail à partager sans modération !

Childe Hassam, Le 14 juillet rue Daunou

Le 14 juillet, rue Daunou, 1910, hst, 74 x 50,5 cm, Childe Hassam, Metropolitan Museum of Art, New York

Il a été peint par Childe Hassam (1859-1935), impressionniste américain et francophile. Il est allé à Paris une première fois en 1883, puis a habité près de la place Pigalle de 1886 à 1889, et a été élève de l’Académie Julian. Il retourne à Paris en 1896-97 puis à nouveau en 1910. Il est à cette époque déjà un peintre célèbre aux États-Unis. Hassam était proche de Claude Monet et des américains de Giverny, et sa vision du 14 juillet depuis un balcon doit sans doute beaucoup à La Rue Montorgueil, à Paris. Fête du 30 juin 1878 de Claude Monet (musée d’Orsay, ci-dessous en fin d’article). Remarquons qu’Hassam avait déjà peint la fête nationale sur le boulevard Rochechouard en 1889 (collection particulière, ci-dessous).

Mais en cette année 1910, l’artiste sent que ce thème le touche particulièrement. Il retourne à New York et lorsque les États-Unis entrent en guerre après le torpillage du Lusitania, il commence ses « Flag Series » en 1916. L’une des plus célèbres toiles de la série est son Avenue in the rain que le président Obama a décidé d’accrocher dans son bureau lors de son entrée à la Maison-Blanche (voir ici).

On peut évidemment aussi noter que les Flag Series de Childe Hassam ont eu un génial continuateur avec Jasper Johns (1930-).

Notre tableau du jour est intéressant à plus d’un titre. Remarquez au milieu des drapeaux français les drapeaux belges, américains et même russes. Mais la rue dans laquelle il a été peint n’est pas anodine. L’année suivante, en 1911, Tod Sloan va créer au 5, rue Daunou, le New York Bar, qui deviendra le Harry’s New York Bar, puis le Harry’s Bar.

Comme quoi et depuis longtemps, Paris est une fête, n’est-ce pas, cher Ernest (Hemingway) ! C’est aussi au Harry’s qu’après le White Lady (1919), le Bloody Mary (1924), le Blue Lagoon (1960), le James Bond (1963), a été inventé le Liberty Cocktail (1986).

Childe Hassam, 14 juillet, boulevard Rochechouart, Paris

14 juillet, boulevard Rochechouart, Paris, ca 1889, hsp, 18,4 x 24,1 cm, Childe Hassam, collection particulière

Claude_Monet, La Rue Montorgueil à Paris. Fête du 30 juin 1878

La Rue Montorgueil, à Paris. Fête du 30 juin 1878, hst, 81 x 50 cm, Claude Monet, musée d’Orsay, Paris

27/11/2015

Photo 1 Hassam wikimedia commons File:Childe_Hassam,_July_Fourteenth,_Rue_Daunou,_1910 Usr Paris 16
Photo 2 Hassam Courtesy The Athenaeum, rocsdad
Photo Monet Wikimedia commons File : Claude_Monet_The_Rue_Montorgueil_in_Paris._Celebration_of_June_30,_1878_-_Google_Art_Project.jpg Usr Paris 16

La Source, Maurice Denis

Maurice Denis, La Source

La Source, 1941, huile sur carton, 75 x 85 cm, Maurice Denis, collection particulière

Nous sommes là devant une œuvre de la maturité du peintre. Né en 1870, il meurt, renversé par un camion, le 13 novembre 1943. Le théoricien symboliste de l’époque nabi dans les années 1890, le mystique, fondateur des Ateliers d’Art sacré en 1919, le décorateur officiel des années 20, le voyageur impénitent, l’amoureux de la femme et de son corps enfin, montre toujours le même enthousiasme.

Dans sa vie privée, il a été l’homme de deux femmes :Marthe,qu’il a connue en 1890 et qui décède en 1919, puis Élisabeth de 1922 à sa mort. Il a eu huit enfants (6 avec Marthe, 2 avec Élisabeth), et a parfois accepté des commandes juste pour nourrir une famille très nombreuse. On peut préférer les aplats de la période nabi, mais comme Renoir, après ses voyages en Italie, il effectue un retour vers la Renaissance et redonne de l’importance au modelé, tout en conservant les thèmes symbolistes de sa jeunesse.

Dans ses tableaux hédonistes, les personnages évoluent souvent dans des paysages idylliques ; l’Arcadie chère aux classiques n’est pas loin. Ici cette jeune femme est une baigneuse, mais elle symbolise aussi la source de vie. Par sa composition, elle nous a fait penser aussi à un tableau d’un autre nabi, Félix Vallotton, réalisé 20 ans avant, en 1921. Leur juxtaposition permet aussi de mieux cerner l’originalité de chacun.

Félix Vallotton, Femme nue dormant au bord de l'eau

Femme nue dormant au bord de l’eau, 1921, 122,5 x 193 cm, Félix Vallotton, musée des Beaux-Arts de Strasbourg.

À cause de ses nombreuses facettes, la place de Maurice Denis dans l’histoire de l’art reste ambigüe. Et ceci trouble les collectionneurs. Ainsi, notre tableau du jour a dû subir le feu des enchères 3 fois entre 2012 et 2013 avant d’être finalement adjugé.

Mais ce grand peintre sait souvent, comme ici, nous charmer tout simplement.

Sa maison de Saint-Germain-en-Laye est devenue le musée départemental du Prieuré. Il est question que ce musée disparaisse. En tout cas la presse l’a évoqué. Nous n’en savons pas plus aujourd’hui !

Photo Denis Courtesy The Athenaeum, rocsdad
Photo Vallotton Vallotton,_Femme_nue_dormant_au_bord_de_l’eau_(2).jpg Usr Ji-Elle

Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron, Alfred Sisley

Sisley Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron

Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron, 1881, h.s.t., 56 x 74 cm, Alfred Sisley, musée Pouchkine, Moscou

Aux débuts de l’impressionnisme

Tout commence vers 1870. Ernest Hoschedé (1837-1891) a épousé Alice Raingo (1844-1911) en 1863. Alice reçoit en héritage le château de Rottembourg à Montgeron (91) dans lequel les Hoschedé s’installent en 1869.

Ernest est un homme d’affaires, propriétaire d’un magasin de lingerie à Paris, le « Gagne-Petit ». C’est l’époque des grands magasins et du Bonheur des dames de Zola. Mais Ernest est aussi passionné d’art et flambeur. En mars 1870, pour une réception au château, il loue un train qu’il fait arrêter devant le parc du château, pour que les invités n’aient pas à marcher depuis la gare.

« Chéri, s’il te plaît, gare le train à l’entrée du jardin ! ». On imagine bien la scène.

Mais la guerre arrive bientôt. Les Hoschedé fuient devant l’arrivée des Prussiens puis reviennent en mars 1871. Ernest est féru de peinture moderne. En 1874, il est le premier acquéreur de Impression, soleil levant d’un certain Claude Monet (pour 800 francs).

Quand l’homme d’affaires joue les mécènes

Pour décorer les grandes pièces de son château, il a l’idée d’inviter les artistes qu’il admire au château pour quelque temps, afin qu’ils réalisent des tableaux sur place. .

Les premiers à venir en juin 1876 sont Édouard et Suzanne Manet qui restent 2 semaines. Puis c’est au tour d’Alfred et Marie-Eugénie Sisley en juillet. Puis Claude Monet arrive en août. Il restera là jusqu’en décembre.

Mais Ernest fait bientôt faillite et il perd tout : son château, ses tableaux et même… sa femme et ses enfants qui partent vivre avec et chez Claude Monet à Vétheuil. Alice deviendra ensuite la seconde madame Monet. Lors de la vente finale à Drouot en mai 1878, plus de 130 tableaux sont vendus et Impression, Soleil levant est adjugé dans l’indifférence générale au prix ridicule de 210 francs. Parmi les toiles, 13 Sisley, 16 Monet, 5 Manet, etc.

Un tableau énigmatique

Notre tableau du jour est présenté en 1881. On peut penser qu’Alfred Sisley l’avait commencé en 1876, puis mis de côté et l’a repris en cette année-là avant de le signer et de l’exposer. Il a d’abord appartenu au baryton J.B. Faure (qui avait été le mécène de Sisley en 1874 pour son voyage en Angleterre). Puis Durand-Ruel l’acheta en 1900 et le vendit en 1904 pour la modique somme de 40 000 francs au grand collectionneur russe Ivan Morozov, qui faisait ses achats de tableaux à Paris très souvent. Ce prix modique représentait déjà une multiplication par 200 par rapport aux prix de Sisley juste avant sa mort (environ 200 francs) en 1899, 5 ans avant. .

Mais la collection Morozov fut ensuite nationalisée (confisquée) par les Soviets en 1917 et le tableau de Sisley s’est ainsi retrouvé au musée Pouchkine, une histoire folle qui justifierait à elle-seule plusieurs publications.

Toutes ces aventures ne doivent pas vous empêcher d’apprécier ces harmonies de verdure, peintes depuis le fond du parc.

25/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

L’Anglaise du Star, Le Havre, Henri de Toulouse-Lautrec

Lautrec, L'Anglaise du Star, Le Havre

L’Anglaise du Star, Le Havre, 1899, Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi.

Un tableau qui ne laissera pas indifférent tous ceux qui ont utilisé ce timbre émis par la Poste (valeur faciale 1,00 F) en 1965. L’original est à retrouver au musée d’Albi.

Mais si parfois les sujets de Lautrec tangentent le sordide, rien de tout cela ici !

Chaque été, Lautrec rejoignait Le Havre afin de rentrer à Bordeaux et au château familial par la mer en paquebot. Il s’arrêtait évidemment dans tous les lieux de plaisir (bars, cafés-concert, etc.) pour y retrouver la vie qu’il affectionnait. La barmaid du Star, Miss Dolly, lui a donné l’occasion de ce joyeux portrait exécuté à l’huile avec une spontanéïté qui fait penser au pastel.

Je vous livre deux points de vue très différents sur Degas et Lautrec. À vous de juger !

L’opinion de Gustave Coquiot, à retrouver dans la monographie sur Degas par Paul Jamot.

« Un jour, Degas demandait à Suzanne Valadon :
— Qu’est-ce que vous pensez de Lautrec ? (note VisiMuZ : avec qui Suzanne avait vécu…)
— Je trouve, répondit-elle, qu’il s’habille un peu dans vos vêtements.
— En les faisant remettre à sa taille ! coupa Degas, sèchement.
Hélas ! il y a un abîme entre Lautrec et Degas. Lautrec, c’est plus de mouvement, c’est la distinction, c’est la race ! Degas, c’est trop souvent l’inertie, la tradition, la vulgarité !
Il est venu le premier ! Soit ! Mais le disciple domine le maître. »

Et l’avis tout aussi tranché de Renoir  (dans sa biographie par Vollard) :

«  Lautrec a fait une femme de b..del ; chez Degas, c’est l’esprit de la femme de b..del, c’est toutes les femmes de b..del réunies en une seule. Et puis, celles de Lautrec sont vicieuses ; celles de Degas, jamais ! »

Comme vous voyez, les partis étaient tranchés. Mais l’œil change et celui qui admire l’un un jour admirera peut-être plus l’autre le lendemain. Dans tous les cas ils ne laissent pas indifférents !

24/11/2015

Dim : 41 × 32,8 cm
Photo wikimedia commons : Henri_de_Toulouse-Lautrec_053.jpg Usr Eloquence.

P.S. : le timbre évoqué.
timbre lautrec anglaise star

Symphonie en blanc, N° 1, James Abbott Mc Neil Whistler

Symphonie en blanc, N° 1, Whistler

Symphonie en blanc, N° 1 : la fille en blanc,1862, James Abbott McNeill Whistler, National Gallery of Art, Washington (DC)

Les titres des tableaux de James Abbot McNeill Whistler (1834-1903) font le plus souvent référence à une forme musicale (Symphonie, Nocturne, Variations, etc.) et à une ou plus souvent deux couleurs. Le chemin vers l’abstraction était en route.

Né américain, ayant grandi à Saint-Pétersbourg, vivant à Londres et souvent à Paris, Whistler est le prototype du dandy argenté, qui n’a pas besoin de vivre de sa peinture. Il a servi de modèle à Marcel Proust pour le peintre Elstir dans À la recherche du temps perdu. Pour Whistler, l’art était d’abord harmonie de couleurs et non représentation du monde réel. Ses titres font référence aux accords musicaux, il refusait tout dessein moral dans ses tableaux. Pourtant, parce qu’il était un excellent dessinateur, il n’a pas su se libérer complètement de l’emprise du dessin pour laisser le pouvoir à la couleur. Whistler a réalisé trois « Symphonie en blanc » avec son modèle préféré, qui était aussi sa compagne, Joanna Hiffernan.

Nous sommes au cours de l’hiver 1861-1862. Une palette aussi claire n’existait pas encore. Les critiques ont commenté ce tableau comme une allégorie de l’innocence et la perte de celle-ci (la fleur de lys tombante, tenue par Joanna dans sa main gauche, et les autres fleurs en désordre sur la peau d’ours et le tapis). Le tableau, présenté à Paris en 1863, a été refusé au Salon officiel, mais exposé au Salon des Refusés, celui-là même où Manet a créé le scandale avec son Déjeuner sur l’herbe. Le titre initial était La Fille en blanc, présentée par l’artiste comme « une fille en blanc devant un rideau blanc » puis Whistler a intellectualisé sa peinture et inventé le titre définitif, qui sera suivi de deux autres « Symphonie en blanc ». Ce titre doit certainement aussi à l’influence d’un poème de Théophile Gautier de 1852  Symphonie en blanc majeur, que vous pouvez retrouver ICI.

Jo posera aussi l’année suivante pour Courbet lors de leur séjour à Trouville. Alors que Whistler est parti au Chili en 1866, Jo, à court d’argent a posé ensuite à Paris pour Courbet entre-autres pour Le Sommeil, les quatre versions de Jo, la belle irlandaise et vraisemblablement aussi pour L’Origine du monde.

Averti des rumeurs de scandale, Whistler à son retour va rompre avec elle.

23/11/2015

Dim 215 x 108 cm
Photo Courtesy National Gallery of Art, Washington (DC)

La Cueillette des coquelicots, Mary Cassatt

Les années 1870 ont été celles des coloristes. Delacroix avait montré la voie. Les jeunes gens nés vers 1840 l’ont suivie avec comme armes les théories de Chevreul (1839 – De la loi du contraste simultané des couleurs… ICI) et la peinture en tube d’étain, inventée en 1841, qui va permettre de peindre en plein-air.

Le champ de coquelicots par ses contrastes de vert et de rouge va devenir un thème prisé à partir de 1873-74. Mary Cassatt (1844-1926) a 31 ans quand elle réalise le tableau du jour. Il correspond à une évolution de sa technique.

La Cueillette des coquelicots, Mary Cassatt

La Cueillette des coquelicots, 1875, Mary Cassatt, hst, 26,6 x 34,3 cm, collection privée BrCR 42

Citons Achille Ségard, le biographe de Miss Cassatt. « À partir de 1874, les essais se précisent, le dessin se resserre, le trait devient plus nerveux et plus incisif. Miss Mary Cassatt se cherche elle-même et elle se cherche par le dessin. Dans une certaine mesure, elle réfrène une qualité naturelle dont elle se sentait sûre et dont elle savait bien qu’elle tirerait un jour de beaux effets : le don de voir en coloriste. Ce don implique le plaisir de se complaire à l’analyse subtile des complexités quasi imperceptibles des nuances et la joie de regarder par taches, de ramener à des valeurs colorées les personnes, les objets ou les paysages. »

Mary Cassatt suit de peu le premier tableau de Claude Monet (musée d’Orsay, W274) mettant en scène des coquelicots.

Coquelicots (La Promenade), Claude Monet

Coquelicots (La Promenade), 1873, hst, 50 x 65,3 cm, Claude Monet, musée d’Orsay, Paris W274

Champs de coquelicots près d'Argenteuil, Claude Monet

Champs de coquelicots près d’Argenteuil, 1875, hst, 54 x 73,7 cm, Claude Monet, Metropolitan Museum of Art, New York W380

Mais on sent déjà chez Cassatt son attirance pour les portraits d’enfants. Alors que les silhouettes ne sont guère plus que des taches de couleur chez Monet, les volumes de l’enfant sont mis en valeur par Mary Cassatt.

Découvrez tout l’œuvre de Miss Cassatt dans la monographie enrichie publiée chez VisiMuZ : ICI.

21/11/2015

Photos
1) Cassatt : wikimedia commons, File:Mary_Cassatt_-_Picking_flowers_in_a_field_–_1875.jpg Usr Jane023
2) Monet : wikimedia commons, File:Claude_Monet_-_Poppy_Field_-_Google_Art_Project.jpg, Usr DcoetzeeBot
3) Monet : Metropolitan, Courtesy wikiart.org

Une place à l’ombre, Henri-Edmond Cross

Sea, sex and sun au Lavandou. Certains croient encore que le nudisme est né en 1964 à Saint-Tropez (« Do you, do you, do you Saint Tropez ! »)
Henri-Edmond Cross, Une place à l'ombre

Une place à l’ombre, 1902, Henri-Edmond Cross, collection particulière.

Mais en 1902 on ne s’ennuyait pas sur la Côte d’Azur. Ces jeunes femmes ne sont pas imaginaires ou virtuelles. Elles posaient bel et bien pour Henri Cross, sur la plage de Saint-Clair ou de Cavalière (Le Lavandou).

Cross, un des membres du néo-impressionnisme (ou divisionnisme, ou pointillisme) a continué longtemps après la mort de Seurat à peindre « au petit point » (comme disait Renoir). Mais dès 1900, sa palette s’enflamme et il va être l’un des inspirateurs de la génération suivante, les Fauves du salon de 1905 (Matisse, Marquet, Derain, Manguin, Camoin).

Cross, comme nombre de peintres est aussi vecteur d’un certain art de vivre.

Notre tableau du jour est imposant par ses dimensions (113,6 x 146 cm) qui augmentent aussi son pouvoir évocateur. Il a été une des vedettes (virtuelle, par sa projection sur les murs) de l’exposition sur la Méditerranée aux Carrières de lumière des Baux-de-Provence en 2013-2014.

Les paysages de Cross semblent toujours un peu idéalisés (images du jardin d’Eden, ou de l’Âge d’or de l’humanité). Si l’artiste en a totalement inventé les harmonies de couleurs, il a repris des motifs et cadrages existants de son quartier. Certains d’entre eux peuvent être encore retrouvés aujourd’hui (ce que nous avons fait avec délectation l’été dernier).

C’est après ses rencontres avec Cross que le jeune Matisse a peint La Joie de vivre ou encore Luxe, calme et volupté. Le premier prix Goncourt, un certain John-Antoine Nau, (1860-1918) a aussi guéri de la fièvre typhoïde en passant sa convalescence auprès de Cross (en 1897). 6 ans après, quand il est choisi pour le prix en 1903, il ne va pas à Paris, mais chez Cross au Lavandou.

De là à penser que Henri Cross était un catalyseur de bonheur, il n’y a qu’un pas que nous franchissons gaiement. Merci pour le plaisir que vous nous donnez, monsieur Cross, dont nous avons particulièrement besoin en ce moment !

20/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad